Histoire de Skikda / Page 5a
Philippeville
Colonisation française
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Skikda l'Algérienne

Philippeville vers 1889 dessin d'A. Boudier d'après une photographie

— Skikda - Philippeville vers 1889 —

HISTOIRE DE SKIKDA - Page 5b -
– La résistance à la colonisation française de 1838 à 1860 –

Résistance à la colonisation française de Skikda et sa région
ifférents témoignages nous font savoir que l'arrivée des Français à Skikda ne s'est pas déroulée aussi pacifiquement qu'on le laisse parfois entendre. Comme les envahisseurs qui les avaient précédées, les troupes françaises rencontreront la résistance des tribus.
Ne connaissant pas les véritables intentions des Français, les tribus de Skikda et sa région étaient, tout d'abord, relativement calmes, et il est vrai qu'une véritable résistance se produira plus tard, et comme souvent elle viendra des régions montagneuses. Car ces tribus, pour certaines, montagnardes ou aidées par le relief de leur territoire, opposeront une farouche résistance. Celles des plaines, pour survivre ou quand elles ne pouvaient plus lutter à cause du déséquilibre des forces, se soumettaient avant de reprendre la lutte ; car n'oublions pas que c'était le combat inégal d'une résistance populaire sans artillerie face à une armée.
Ce déséquilibre des forces sera reconnu par le général Castellane : « [...] les Arabes, étrangers à la tactique européenne, n'ayant pas de boulets à échanger contre les nôtres, ne combattent pas à armes égales. » (Discours à la Chambre des Pairs du 4 juillet 1845).

La résistance des Algériens portera ses coups à l’intérieur même de l’enceinte de Philippeville, et il faudra les grandes expéditions de 1851 à 1860 pour que la région de Skikda soit colonisée sans crainte.

Edouard Solal - dans son ouvrage "Philippeville et sa région - 1837-1870", nous fait savoir que Philippeville et sa région ne seront totalement "pacifiées" qu'en 1860, soit après une résistance qui dura 22 ans, comme nous allons le voir plus loin sur cette page.

La résistance à la colonisation française de 1838 à 1860
arti le 7 avril 1838 de Constantine et cherchant un débouché vers la mer, le général Négrier, à la tête d'une colonne forte de 1.800 hommes d'infanterie, 135 de l'artillerie et du génie et de 325 cavaliers commandés par Ben Ba Ahmed, arriva à Skikda dans l'après-midi du mardi 10 avril 1838.

Tout d'abord, la troupe entra le lundi 9 sur le territoire des Beni-Mehenna (dépression de Ramdane Djamel). Les hameaux étaient déserts. A 14h, la colonne arriva près de Skikda, et campa à 1.500 m en arrière des ruines de l’ancienne Rusicade (sans doute, sur le mamelon qui portera le nom de Négrier).
Quelques chefs des tribus du sahel vinrent faire leur soumission, Saoûdi Ben Inal entre autres. Dans la nuit, cependant, une cinquantaine d’hommes ne cessèrent de tirer sur le bivouac.

Le lendemain 10 avril 1838, la colonne du général Négrier fit une reconnaissance jusqu'à Stora. A 14h, le camp fut levé et entama son retour vers Constantine. Dès lors, les hauteurs se couvrirent d’hommes (3.000 d’après Négrier) et de quelques cavaliers. La fusillade commença vivement. Au bout de 3 heures de combat et après une dernière charge sous une pluie battante, les Algériens cessèrent leur poursuite. La colonne avait eu officiellement 3 tués et 18 blessés.
Dans sa correspondance avec le Ministère de la Guerre et avec Négrier, le général et gouverneur Valée avouera que ce combat troublait « la tranquillité qui régnait depuis six mois en Algérie », qu’il eut « du retentissement au loin » et fit un « effet pénible à Paris ».

M. Puillon-Boblaye – capitaine au Corps Royal qui faisait partie de l'expédition, écrira quelques jours plus tard, le 18 avril 1838 :
« [...] Deux heures après les balles atteignaient en grand nombre notre camp, placé trop près du pied des montagnes [...]. »

Résistance populaire face à une armée
kikda (Philippeville) était donc devenue, en 1838, le débouché le plus proche de Qacentina (Constantine). Les deux villes étaient solidement défendues par leur position naturelle et des fortifications. Une route de 89 km les reliait, avec seulement quelques petits camps fortifiés (Smendou, El-Harrouch, la Grande Halte) sur son tracé. Cette route était d’une importance vitale pour l’occupant français.
Toutes les opérations militaires après le 8 octobre 1838, et durant 22 ans, eurent pour premier but d’assurer la sécurité des communications sur la route Skikda-Constantine. Puis, lorsque des centres de population se furent installés sur la route, les opérations militaires essayèrent d’assurer également la sécurité de ces centres et de leurs territoires,
Les menaces provinrent d’abord de l’Est et de l’0uest, puis, rapidement, de l’0uest seulement. Seule, la conquête totale de la Kabylie Orientale permit la colonisation complète de la région de Skikda.
La France se heurta dans ses opérations militaires à des chefs occasionnels et successifs surgis de l'ombre et eut à lutter avec persévérance contre les mêmes tribus. Celles-ci défendaient une indépendance que les Turcs avaient peu touchée, et aussi un intérêt menacé par une colonisation envahissante.
Les 22 ans d’opérations militaires pour faire face à la résistance algérienne dans la région de Skikda peuvent se diviser en trois périodes :
1 - Une période d'inertie (octobre 1838-1840) ou les Français se contentaient d’assurer par convois les relations Skikda-Constantine.
2 - Une période de colonnes militaires procédant par razzias (mars 1841-1850). Les Français agissant ainsi contre l’ouest, mais toutes ces actions restent sans lendemain.
3 - Une période de grandes expéditions (1850-1860).

Période d'inertie (octobre 1838-1840)
es travaux de fortifications de Philippeville (Skikda) s’exécutèrent dans un calme relatif : quelques coups de fusil étaient tirés de temps en temps d’une crête à l’autre. Par contre, les attaques contre la route Skikda-Constantine commencèrent dès le premier jour.
Le 8 octobre 1838, un convoi du bataillon turc fut attaqué, dans un étroit défilé. Le détachement eut trois tués et quelques blessés. La nuit suivante, le 9 octobre, les Algériens attaquèrent le Camp d’El-Harrouch,
Pour assurer la sécurité de la route, les camps de Smendou et El-Harrouch furent améliorés ; à Eddis, à la Grande Halte, des camps ou blockhaus furent aménagés.
Le 14 octobre 1838, le Maréchal Valée et le général Galbois rentraient à Qacentina, laissant sur place un détachement d’artillerie et un du Génie, un bataillon du 61ème de Ligne, le 3ème Bataillon d’Afrique et 50 chasseurs sous le commandement du Colonel Vaillant.

1839 - Des tribus se soulevèrent et des attaques se produisirent sur la route pendant l’hiver, infligeant des pertes à l’occupant. Devant ces faits, le général Galbois, de retour à Skikda en février 1839 appela le Khalifa du Sahel Ben-Aïssa pour responsabiliser les chefs locaux de la bonne police du pays. Peu de temps après, Ben-Aïssa, faisait amener les présumés coupables à El-Harrouch puis à Qacentina. Après un conseil de guerre, composé, entre autres, de Ben-Aïssa, du Kalifa de la Medjana, du Kalifa du Ferdjioua, du cheikh-el-Arab, du caïd des Haractas, sept personnes furent exécutées.
L’exécution n’eut aucun effet durable ; les attaques ne tardèrent pas à reprendre.
Fin 1839, quelques colons aventureux s’installèrent au début de la vallée du Zeramna, alors que seul l’espace entre l’enceinte et le Zeramna était en voie de concession. Menaçant peu la propriété indigène, ils ne furent guère inquiétés dans les débuts.
Le 20 novembre 1839, la Mitidja fut attaquée par l’émir Abd-el-Qader. Il n’y eut pas de répercussion immédiate autour de Skikda, mais le Commandant supérieur crut bon d’organiser une défense civile à Skikda. Les principaux habitants de la ville furent convoqués ; on forma quatre compagnies doubles. Puis un arrêté du Gouverneur créa officiellement une milice de cinq compagnies formant un bataillon. Renforcée et améliorée au cours des années, elle subsista jusqu’en 1853.

En 1840, les attaques contre la route continuèrent. Les Beni-Ishak (Beni-Ishaq), tribu à l’ouest d’Eddis, étaient soupçonnées d’en être responsables. Aussi, une colonne, comprenant deux bataillons et un escadron, sous les ordres du Colonel Lafontaine, commandant du Cercle, partit, au milieu de la nuit, du Camp d’Eddis, arriva au petit jour sur le territoire de la tribu, brûla plusieurs douars et ramena un troupeau en razzia.

En 1841, les troubles dans le sud se traduisirent par des attaques multiples. Les Algériens augmentaient d’audace autour de Skikda, comme autour de Qacentina, portant leurs coups à l’intérieur même de l’enceinte de Philippeville. "On vivait dans des alertes perpétuelles" comme le rapporte l’historien Fenech. Des soldats de la garnison furent tués en plein jour dans le ravin dit du Pont Romain ; d’autres soldats en patrouille furent éliminés ou blessés prés des chemins de ronde ; ainsi qu’un gendarme en faction devant la Douane.
Sur la route, les convois étaient attaqués ainsi que les camps militaires par les montagnards du Massif de Skikda.
Du côté  de Annaba, un nommé Si Zaghdoud de la tribu des Beni Mohamed de Sanhadja essayait de soulever le cercle et semait l’inquiétude dans la population européenne.

Période des colonnes militaires (1841-1850)
n février 1841, Bugeaud prenait possession du poste de Gouverneur, en remplacement de Valée.
En mars, le général Négrier redevenait commandant de la province, et fit destituer Ben-Aïssa. Négrier fera preuve de violence ; trois hommes, arrêtés aux environs de la ville, furent exécutés sur la place publique par simple décision du général. L’affaire fit du bruit et une ordonnance royale interdit la peine de mort sans l’autorisation du Roi.
Négrier jugea qu’il devait atteindre les tribus soupçonnées des attaques contre Skikda et contre la route Skikda-Constantine. Il organisa une colonne, qui allait être le début d’une série. Chacune razziait les supposés coupables, obtenait une soumission toute nominale, retournait à sa base... et les attaques reprenaient peu après le départ de la troupe.
Le général partant d’El-Harrouch, se porta le 12 septembre 1841, avec 1.000 hommes, à l’0uest et "razzia" le pays des Beni-Ishak, des Beni-Toufout et des Beni-Salah. Le retour fut beaucoup plus pénible. La colonne française fut encerclée le soir par des montagnards, à l’ouest d’El-Harrouch. Elle réussit à se dégager mais dut, pendant les quatorze heures du retour, avancer en combattant. Il n’y eut, d’après le rapport officiel, que deux tués.
Après cette action contre l’Ouest, une colonne, commandée par le lieutenant-colonel Buttafaco, se dirigea contre l’Est. Le 28 septembre, elle partit d’El-Harrouch pour razzier les Zerdaza. Le retour fut, là aussi, difficile et faillit tourner au désastre. L’arrière-garde dut soutenir un combat où elle perdit "beaucoup de monde" (là encore les Français resteront laconiques sur leurs pertes). La lutte continua pendant les vingt heures du retour.
Les résultats de ces deux colonnes ne furent donc pas ceux que l’occupant attendait. Par ailleurs, Si Zaghdoud vint se fixer dans la région de Skikda. Il allait devenir un redoutable adversaire des Français pendant les années 1842-1843.

1842 - Si Zaghdoud avait pris le titre de sultan et désignait des aghas, des khalifats. Il appela les montagnards à la résistance, et parvint rapidement à soulever les Beni-Toufout, les Beni-Mehenna, les Beni-Bechir (fraction des Beni-Mehenna), les Beni-Ishak, les Beni-Salah, les Ouled-el-Hadj, les Beni-Ouelban, les Zerdaza.
Pendant l’hiver 1841-42, la route ne cessa d’être inquiétée par ses partisans. La région de Skikda était plus particulièrement menacée.
Le colonel Brice, commandant supérieur de Skikda reçut l’ordre de s’établir, début mai 1842, à Ain-Dardara. Il chercha les combattants de Si Zaghdoud dans diverses directions, puis, prit position à Souk-Tlata (marché du mardi des Beni-Ishak). Si Zaghdoud parut décliner la lutte, mais c’est au retour que la colonne française fut attaquée. Dans la nuit la mêlée fut générale ; les montagnards algériens se retirèrent après plusieurs heures de lutte. La troupe coloniale avait 9 morts et 56 blessés.
Le combat du 4 mai 1842 aggravait la situation. Si Zaghdoud sut aussitôt en tirer avantage. Il montra comme trophées d’une éclatante victoire, les cadavres de soldats français. Il convoqua les contingents de toutes les tribus jusqu’à Jijel. Une partie des Beni-Mehenna et des Eulma le rejoignirent.
Si Zaghdoud décida alors d’effectuer deux attaques simultanées. Le 20 mai 1842, il envoya son "khalifa" (lieutenant), Si Mohammed Ben Abd-er-Rahman à la tête de 2.000 hommes sur Eddis et marcha lui-même, avec 4.500 hommes, sur El-Harrouch. Les deux compagnies que le colonel Brice avait laissées au blockhaus d’Eddis, s’enfermèrent derrière le parapet au moment de l’attaque.
Du côté d'El-Harrouch, l’affaire fut plus sérieuse. Dès le matin, les versants se couvrirent de combattants algériens à pied et à cheval. Dans l’après-midi, ils s'approchèrent avec résolution, dirigeant un feu nourri vers les parapets, mais cette attaque échoua.
Infatigable et fort bien secondé par son "khalifa" Si Mohammed Ben Abd-er-Rahman, Si Zaghdoud continua la lutte. Un de ses lieutenants, Ben-Zetout, se porta, le 5 juin 1842, au village Brincard, attaqua les voituriers et, après en avoir tué un, enleva les chevaux. Ses cavaliers menaçaient sans arrêt les voyageurs.
Tous ces exploits isolés renforcèrent, à nouveau, son prestige et lui amenèrent de nouveaux contingents.
Si Zaghdoud conçut alors, avec différents chefs de tribus, un grand plan d’investissement de Skikda par trois colonnes d’opérations.
Il s'était mis, entre temps en relations avec l’émir Abd-el-Qader et publiait les réponses de ce dernier qui l’assurait de son concours et lui promettait l’envoi d’armes et de munitions.
Le général Levasseur, nouveau commandant du cercle de Skikda, attaqua, pendant la nuit du 21 au 22 juin 1842, les tribus des Beni-Salah et des Beni-Ishak, à l’ouest d’El-Harrouch. Il les considérait comme des partisans de Si Zaghdoud, tua des hommes, enleva 400 bœufs et 600 moutons. Poursuivant ses opérations, il se porta à El-Hadarat, à l’Est d’El-Harrouch, pour forcer Aïssa Ben-Arab, un des lieutenants du chérif, à se soumettre. Des marabouts s’interposèrent pour obtenir la soumission de Aïssa.
Aïssa Ben-Arab répondit qu’il refusait toute soumission et que, si les Français se permettaient de dévaster quoi que ce soit dans le pays, lui, mettrait le feu aussitôt, depuis Qacentina jusqu’à Skikda. Le général quitta alors son camp le 5 juillet 1842, arriva au village des Arb-el-Hamma et le brûla entièrement.
Quelques tribus durent se soumettre (Beni-Ishak, Ouled-Messaoud, Zerdaza).
Si Zaghdoud, réfugié chez les Beni-Mehenna apprit ces défections, mais ne se découragea pas, comptant sur l'appui d'Ahmed Bey. Il fit continuer la guerre de partisans.
Le 2 juillet 1842, Ben-Zetout pilla une ferme à 600 mètres de Skikda. Le 17 juillet, Ben-Adelali attaqua le douar du caïd Saoûdi, allié des Français, avec peu de succès. Le 22 juillet, Ben-Tourki et une troupe dépouillèrent le douar de Si Laâd, un autre allié. Le 31 juillet 1842, ce fut le tour du cheikh Tabouch, dans la vallée du Saf-Saf.
La démonstration du général Levasseur avait été insuffisante ; Si Zaghdoud reparut lui-même aux environs d’Eddis avec une troupe importante de cavaliers. Les tribus reprirent les armes, et l’inquiétude se répandit à nouveau. La route de Qacentina fut menacée à tel point que la correspondance put être enlevée le 17 août 1842 et, quelque temps après, un convoi attaqué aux portes de Skikda.
Entre-temps, des troubles étaient survenus, en avril 1842, à l’Est, dans la tribu des Radjeta, montagnards du massif du littoral. Le caïd installé, rencontrant une vive opposition, le colonel Brice se rendit, avec 900 hommes, dans le vallon de l'Oued Mezaria ou l’attendait un grand rassemblement des hommes de la tribu. Après avoir entendu les uns et les autres, le colonel confirma le caïd El hadj Ben-Khalifa dans son commandement. Le 21 avril, il était à Annaba et le 25 à Skikda. Le 13 décembre, Ben-Zetout fut tué par un de ses compagnons.

En février 1843, les attaques reprirent. Un allemand fut tué, en plein jour, au village Brincard ; les ouvrages de défense même furent assaillis.
Le général manchot, Baraguay d’Hilliers, surnommé "El Boudraâ" avait remplacé Négrier à la tête de la province. Il conçut un important plan d’investissement des régions dissidentes : il envahirait simultanément les montagnes de la Chaîne Numidique Ouest au moment ou les tribus seraient occupées à leurs labours.
Le Commandant de la Subdivision de Annaba, le colonel Senhiles, reçut l’ordre de marcher, avec 2.000 hommes, au sud du lac Fetzara, d’attaquer Ksentina Kédima (Gastu, Zit Emba / Bekkouche Lakhdar), la gorge d’El Massar, Melila et de se diriger enfin sur Souk-es-Sebt, point de concentration des colonnes françaises.
Le colonel Barthélémy, commandant supérieur de Skikda, reçut en même temps l’ordre de rejoindre El-Harrouch avec ses troupes, puis de marcher sur Merdj-Mechel et Souk-el-Khemis.
Le capitaine De Tourville commandant à Guelma, devait, avec ses troupes, se diriger sur Es-Sebib, puis, de là, sur l’Oued Mezig et empêcher ainsi tous secours d’arriver aux tribus.
Le général Baraguay, avec cinq bataillons, attaquerait la région par le sud, refoulerait les Ouled Djebara et rejoindrait les autres colonnes. Enfin, le Commandant Gallias se porterait avec un escadron de chasseurs, au camp d’Eddis pour surveiller l’arrivée de tous renforts du côté de Collo. Les camps furent renforcés.
Le 12 février 1843, les colonnes se mirent en marche selon le plan prévu.
Partie de Qacentina, la colonne Baraguay arriva le 13 février chez les Ouled-Djehara qu’elle attaqua le 14 février dans leur citadelle naturelle des rochers du Kef Aounner (1.028 m). Le 15 février, le Kef fut enlevé. Les Français razzièrent 3.000 têtes de bétail.
La colonne Barthélémy, partie le 14 février 1843 d’El-Harrouch, réussit à occuper le terrain, après des engagements sévères.
La colonne Senhiles atteignit Ksentina Kédima le 14 dans la nuit, le colonel reçut des propositions de paix de Lekhahal, chef des Zerdaza ; mais, se conformant aux ordres reçus de n’accepter de soumission qu’avec remise d’otages, il continua sa route le lendemain, s’empara de la Gorge d’El Masser où toutes les tribus s’étaient repliées avec leurs biens.
Le fils et le neveu de Lekhahal se présentèrent alors et se portèrent garants de la soumission complète du pays.
Informé de cette offre, le général Baraguay se rendit au bivouac du Colonel Senhiles, à Souk-el-Sebt. Il n’y avait plus d’autorité reconnue dans la région Est. Le général décida d’investir Lekhahal dont la famille commandait depuis longtemps aux Zerdaza.
La chaîne Numidique Est était donc soumise.
Mais, Si Zaghdoud, que l’on n’avait guère vu durant cette campagne, s’était réfugié dans l’Edough, massif montagneux à l’Ouest de Annaba, demeuré insoumis et, de ce fait, représentait un danger constant pour Annaba.
Les colonnes de Annaba et Skikda retournèrent à leurs bases pour reconstituer leurs approvisionnements, puis se dirigèrent sur l’Edough, cependant que la colonne Baraguay, traversant les Radjeta, les rejoignait.
Dans la nuit du 2 au 3 mars 1843, un compagnon de Si Zaghdoud, Mohamed Ben Ehia, vint, d’après la légende, proposer la tête de son chef, pour 6.000 francs. Si Zaghdoud, qui se trouvait à trois lieues du camp français, fut tué au cours de sa capture. Pour impressionner les populations, les Français usèrent d’une méthode cruelle qu’ils reprochaient aux Turcs et décapitèrent Si Zaghdoud, dont la tête et une main furent exposées successivement à Skikda, El-Harrouch et Qacentina.
La mort de Si Zaghdoud ne marqua pas la fin de la résistance dans la région de Skikda, et le danger pour les Français subsistait à l’0uest du Saf-Saf.
Le commandant de la province décida alors d’entreprendre une action importante à l’ouest.
Après un mois de repos, le général Baraguay divisa ses troupes en trois colonnes. Une colonne, partie de Skikda, porta son action sur les tribus les plus rapprochées du chef-lieu du cercle, dans le Massif de Skikda, sur la rive droite de l’Oued Guebli.
Le général, avec les deux autres colonnes, se dirigea vers le Djebel Sebâ-Rous, habité par les Beni-Toufout, la tribu la plus forte et la plus hostile. Un coup vigoureux était nécessaire avant que les montagnards n’eussent le temps de recevoir du renfort de l'0ued Zohr ou de Jijel. Effectivement, les Beni-Ishak, les Taâbna, une fraction des Beni-Salah, les Beni-Mehenna, menacées de deux côtés à la fois, ne purent opposer une véritable résistance et durent se soumettre. La colonne de Skikda put venir se placer parallèlement aux deux autres, chez les Ouled-el-Hadj, et agir sur une partie des Beni-Salah et une fraction des Beni-Ouelban.
Puis, les trois colonnes progressèrent ensuite vers Collo. Elles rencontrèrent une résistance opiniâtre de la part des Beni-Toufout. Jusqu’à la fin de la campagne, ce ne furent que combats incessants.
Le 10 avril 1843, les colonnes Baraguay arrivèrent devant Collo ou les attendait un navire venu de Skikda pour embarquer les blessés et les malades.
Début mai 1843, le général quitta Collo, n’y laissant aucune garnison, après avoir obtenu la soumission des tribus et levé l’impôt. Le camp d’Eddis et celui de la Grande Halte furent évacués.
Cependant, les soumissions reçues n’étaient que nominales dans la région Ouest du Saf-Saf. La plus grande partie des montagnes comprises entre Jijel, Collo et Mila restait inconnue. La route Skikda-Constantine restait, en fait, toujours menacée.
En juin 1843, un marabout nommé Sidi Mohamed Boudali, prit la succession de Si Zaghdoud.
Boudali s’installa chez les Beni-Toufout.
Certains Beni-Ishak le suivirent. Le frère de Si Zaghdoud, Abdelal, vint le rejoindre. Le marabout recruta alors son armée, et organisa, chez les Beni-Salah, des corps d’infanterie et de cavalerie auxquels il promit une solde régulière. Sidi Abd-er-Rahman et Aïssa Ben-Rorab, anciens aides de Si Zaghdoud, vinrent lui apporter leur concours. Les attaques contre les tribus alliées, les attaques nocturnes contre Skikda et le village Brincard où vivaient une vingtaine de colons, reprirent. Les razzias fournissaient l’approvisionnement des troupes de Boudali.
Le commandant du Cercle de Skikda effectua une razzia sur la tribu des Medjadja, le 10 octobre 1843. La tribu eut 15 tués et de nombreux blessés. Ses troupeaux furent confisqués.
Boudali utilisa alors, en représailles, un moyen original et qui faillit être fatal à la ville coloniale de Philippeville (Skikda) !
Le 17 octobre 1843, à la fin d’un été qui avait été très sec, les émissaires de Boudali, au moment où un fort sirocco soufflait vers la mer, allumèrent, dans les points les plus boisés des vallées du Zeramna et du Saf-Saf, des incendies qui devaient envelopper, d’Eddis au rivage, les tribus alliées, le village Brincard, les fermes de la plaine du Zeramna et Philippeville. A deux heures du matin, le tocsin et une alerte générale réveillèrent les habitants pour lutter contre l’incendie. Dans la matinée, le vent tournant, le feu se dirigea vers Stora. Le petit port fut épargné grâce à une tranchée ouverte par 500 hommes.
Le 29 octobre 1843, le blockhaus de Dar Ali et quelques maisons en différents points furent incendiés.
Les attaques contre la route reprirent. Le Colonel Barthélémy convoqua alors tous les cheikhs du Cercle de Skikda. Les douars organisèrent eux-mêmes des postes de surveillance sous peine de représailles par l’armée. Quelques actions punitives furent entreprises par les Français. Le 24 décembre 1843, les Medjadja firent leur soumission. Le calme revint.

Boudali disparut brusquement, et on ne retrouva la trace d'une réapparition, qu’en avril 1844, chez les Beni-Toufout.
Toutes les terres autour de l'enceinte de Skikda étaient en cultures. La colonisation de la région s'étendait. Fin 1844, les villages de Valée, Danrémont, dont les travaux de construction ne furent achevés qu'en 1846, reçurent leurs premiers occupants. A la Grande Halte, vivaient seulement quelques aubergistes. A El-Harrouch, après l'octroi de concessions en 1843, un important mouvement de colonisation s'était produit en 1844.

Les années 1844 et 1845, malgré la construction des nouveaux villages dans les vallées du Zeramna et du Saf-Saf et l'attribution de concessions qui obligèrent au déplacement de certaines tribus, se passèrent sans troubles.

Au mois de mars 1846, une intense agitation à l'ouest permit aux Beni­-Salah de mener quelques attaques aux environs d'El-Harrouch. Le Colonel Barthélémy chargea le Caïd Saoûdi de razzier les coupables. Après quelques combats meurtriers, les Beni-Salah demandèrent l'aman.
En 1846, le Ministre de la Guerre prépara, malgré l'opposition générale, un plan d'attribution de grandes concessions dans 20.000 hectares de la vallée du Saf-Saf, à des hommes politiques influents ou à des propriétaires métropolitains. Mais la sécurité de cette partie de la région de Skikda n'était pas encore suffisante.

1847- L’ouest représentant encore un danger, une importante reconnaissance, entre les vallées de l'Oued Guebli et l'Oued El-Kebir, fut décidée pour juin 1847. Le Général Bedeau, commandant la province, alla avec huit bataillons, trois escadrons et une batterie, de Mila à Collo. Bedeau se heurta à une vigoureuse résistance des montagnards de la région traversée et dut combattre à plusieurs reprises.
A Collo, toutes les tribus du versant oriental en­voyèrent leurs chefs faire soumission. Ayant renoncé à une occupation de Collo, le Général revint par le pays des Ouled-el-Hadj.
Mais l'expédition Bedeau n'eut pas plus d'effet que les autres. L'agitation à l'ouest avait repris en 1847. Les attaques recommencèrent à nouveau, encouragés maintenant par les Ben-Azzedin du Zouagha.

1848 - Les Beni-Ishaks et les Ouled-el-Hadj se rallièrent à un nouveau chef : Bou-Sebaâ (l'Homme au Lion). Une razzia dirigée par le caïd Saoûdi, rétablit l'ordre. Mais d'autres chefs, entre autres un nommé Si Mohamed Ould-Recoul-Allah, proclamèrent que le moment de jeter les Français à la mer était venu. Une vive agitation régna et des fermes de Saint-Antoine (El Hadaiek)  furent attaquées.
Cependant, fin 1848, les colons métropolitains rejoignirent les nouveaux centres agricoles de Robertville (Emjez-ed-Chich) et Gastonville (Salah Bouchaoûr).

1849 - Cette année vit l'apparition, dans les montagnes de Collo, d'un autre chérif : Mohamed Ben-Abd-Allah Ben-Yamina, plus entreprenant que les autres. La défense des villages fut renforcée. Le 28 mai 1849, on annonça au Général Herbillon que le chérif se dirigeait vers Qacentina à la tête de nombreux montagnards. Le goum de Saâdi, qui suivait à distance Ben-Abd-Allah Ben-Yamina, sur les ordres d'Herbillon, ne put résister à l'envie de tirer quelques coups de fusil. Le chérif revint sur ses pas ; le goum se débanda ; seul, le caïd Saoûdi fit bonne contenance et vint se réfugier à El-Harrouch, poursuivi par 3.000 hommes provenant des tribus de la rive droite de l'Oued-El-Kebir.
Ben-Abd-Allah Ben-Yamina, après avoir adressé un ultimatum au capitaine d’Aubusson, commandant du camp, attaqua. Il fut repoussé et dut se réfugier chez les Beni-Ishaks.
Les désordres continuèrent, et le 4 juin, un douar des Akmès fut incendié, un cheikh tué. Le 5 juin, le caïd des Eulma vint avertir le commandant du camp de Smendou, que Ben-Abd-Allah Ben-Yamina était du côté de Sidi­Driss. Le chérif fut alors capturé et tué. Les Français exposèrent sa tête à Constantine (Qacentina).
Le Général Herbillon agit aussitôt contre les alliés de Ben-Abd-Allah Ben-Yamina. Il pénétra d'abord dans le Zouagha, chassant Bou-Renan qui avait donné son appui ostensible au chérif. Puis, dans le courant du mois de juin, le Général poussa jusqu'à Collo et revint par les crêtes. En cours de route, la colonne razzia les villages des Ouled-El-Hadj, des Beni-Salah et de quelques fractions des Beni-Toufout.

Pourtant, la situation était toujours peu brillante pour l’occupant. Les troupes françaises n'avaient effectué, en réalité, que des coups de main à l'ouest de la route Skikda-Constantine. Les tribus des massifs de l'ouest avaient peu de relations avec les Français alors qu'elles étaient journellement en contact avec les Ouled-Aïdoun, tribu insoumise. Les Beni-Ouelban, les Beni-Salah, les Ouled-el-Hadj, des Beni-Toufout, subissaient l'influence de leurs voisins. L'insurrection pouvait donc facilement descendre de la montagne dans la plaine, et arriver dans la vallée du Saf-Saf, voie de communication et voie de colonisation. De plus, les Beni-Mehenna se montraient récalcitrants depuis quelques temps, et les villages étaient journellement inquiétés par des intrusions. L'état de siège existait à Skikda ; et aucune sécurité réelle pour les Français ne s'avérait possible si la Kabylie Orientale n'était conquise définitivement.

Après dix ans d'actions militaires sans lendemain, les Français décidèrent de pacifier le triangle Jijel-Mila-Skikda, source des attaques contre la vallée du Saf-Saf et la route Skikda-Constantine. Les circonstances étaient favorables ; appui du gouvernement de la IIe République, reddition des deux frères Ben-Azzedin à Qacentina, ouvrant ainsi aux Français l'accès du Zouagha et de la vallée de l'Oued-El-Kebir ; soumission de Bou Akkas, cheikh du Ferdjioua.

Période des grandes expéditions (1851-1860)
n 1850 et 1851, les troubles avaient continué entre autres chez les Beni-Salah, à Collo, où le commandant de Skikda fut attaqué. Toute la région à l'ouest du Saf-Saf était agitée.
En 1851, le sanguinaire Général Saint-Arnaud commençait la série de campagnes contre la Kabylie Orientale. Le 8 mai 1851, il quittait Mila, avec 8,000 hommes. Après deux mois de cam­pagnes dans la région de Jijel et sur la rive droite de l'Oued-el-Kebir, la colonne arriva le 15 juillet à Collo, menacée par les Achach. Il y eut de sévères accrochages avec les tribus environnantes des Achach et des Beni-Ishak du Goufi, les 16 et 17 juillet.
La ville fut entourée d'ouvrages en terre, un caïd nommé. Mais, le 18, le général annonça la fin de la campagne et renvoya les soldats dans leurs garnisons. L'action de la colonne Saint Arnaud avait eu quelque effet du côté de Jijel, mais les massifs de Collo et de Skikda n'avaient été que visités. Aucune route, aucun camp fortifié, ne subsistaient qui auraient permis de protéger la région de Skikda en pleine colonisation, des attaques des montagnards de la rive droite de l'Oued Guebli. Un mois après le passage de la colonne, les tribus du Massif de Collo étaient de nouveau en armes.

1852 - Saint Arnaud, devenu Ministre de la Guerre, ordonna une nouvelle expédition.
Le 12 mai 1852, le Général Mac-Mahon, partant de Mila avec 6.500 hommes, se dirigea vers Collo. Affrontant au passage quelques tribus rebelles de la vallée de l'Oued-El-Kebir, puis emprunta les crêtes des montagnes habitées par les Beni-Toufout.
Le 11 juin, le général entra dans Collo. Du 13 au 20 juin, il continua son action dans la région de Collo, contre les Beni-Ishak du Goufi, les Ouled Attia et les Beni-Fergan. Mais une grosse insurrection du côté d'Aïn-Beïda obligea Mac-Mahon à terminer rapidement la campagne, le 3 juillet. Un camp retranché fut créé à Aïn-Tabia (actuel Tamalous), en avril 1853, permettant de surveiller les Beni-Toufout.

1853-1858. Toute la région montagneuse de l’ouest de la vallée du Saf-Saf fit alors, peu à peu sa soumission : Ouled-Hamidèche (1853), Beni-Toufout (1854), Ouled-Attia). Seuls, quelques soubresauts se produisirent en 1854 et en 1855, suivis d’une révolte du Goufi en 1856.
Cependant, les tribus montagnardes voyaient avec inquiétude l’extension considérable de la colonisation européenne qui, après avoir couvert la vallée du Saf-Saf, s’étendait vers la forêt. En effet, des concessions forestières venaient d’être accordées à des européens dans les massifs ouest. Les Algériens eurent l’idée, en 1858, d’éloigner les colons en détruisant les forêts.
Des incendies simultanés éclatèrent sur de nombreux points. Dans le Cercle de Skikda, chez les Beni-Toufout, les Ouled-el-Hadj, dans tout le massif de Collo, les incendies augmentaient de jour en jour, ravageant déjà 20.000 ha. Impuissant, l’occupant fit alors peser une responsabilité collective sur les tribus, mais, d’autre part, les officiers des bureaux arabes agirent avec diplomatie et les incendies volontaires cessèrent.

Incendies de chênes-lièges entre Skikda et Stora en 1860

— Incendies de chênes-lièges entre Skikda et Stora en 1860 —

Malgré tout, l’effervescence persistait dans les tribus kabyles (refus de payer l’impôt, assassinat du cheikh Bou Messik), effervescence entretenue par Bou-Renan Bou-Azzedin, cheikh du Zouagha.
Une colonne de 4.000 hommes, sous le commandement du général Gastu, se mit en mouvement le 2 novembre 1858, parcourant la vallée de l’0ued-el-Kebir et le massif de Collo.

1859 - Bou-Renan travailla dès lors contre les Français et leur créa de nouveaux embarras.
La situation s'aggrava entre Jijel et le Zaghoua. Les bordjs de Chahena et Ferdj-el-Arba furent attaqués. Le général Desvaux, avec 10.000 hommes, intervint du 23 mai au 15 août 1859 dans le Zaghoua et dans la vallée de l’Oued-el-Kebir, puis termina son expédition par l’occupation de Collo.

Puis, peu à peu la région connut le calme après 22 ans de résistance acharnée.