Abd-el-Qader / Page 1
Jeunesse et formation
Haut de page Page précédente Page suivante Abd-el-Qader / Page 3
Captivité en France

Abd-el-Qader (Hocine Ziani)

Biographie de l'émir Abd-el-Kader - Page 2 -
– Résistance contre l'invasion française –

Naissance d'un émir
n juin 1830, l'invasion française débute par le débarquement à Sidi-Fredj (Sidi-Ferruch), suivi de la prise d'Alger.

Dès 1830, Abd-el-Kader manifesta son engagement, aux côtés de son père d’abord, puis en lui succédant à la tête des tribus de la région d’Oran et de Mascara, qui refusaient de se soumettre aux Français. Abd-el-Kader qui a à peine 20 ans, participe à la résistance populaire et se distingue par sa bravoure.

Après la chute d’Oran en 1831, le désordre qui régna et la dégradation de la situation ont conduit les cheikhs (chouyoukh) et ulémas (savants) de la région d’Oran, réunis en djamaâ (grande assemblée des notables), à rechercher une personnalité à laquelle pourrait être confiée la conduite de la résistance à l’occupation étrangère.
Leur choix se porta sur Cheikh Mohieddine, père de Abd-el-Kader en raison de ses qualités avérées de courage et de témérité. C'est lui en effet qui avait dirigé la première résistance contre les Français en 1831, et son fils Abd-el-Kader a également fait preuve de courage et d’audace au cours des combats livrés sur les remparts de la ville d’Oran lors du premier accrochage avec les Français.
La tâche était lourde, Cheikh Mohieddine déclina l’offre en raison de son âge avancé et devant l’insistance de l'assemblée, proposa son fils Abd-el-Kader en disant : "Mon fils Abd-el-Qader est un jeune homme pieux, intelligent, capable de régler les litiges et un cavalier émérite bien qu'ayant grandi dans le culte et la dévotion à son Seigneur ; Ne pensez surtout pas que je vous le propose pour me remplacer car étant une partie de moi-même, je ne peux souhaiter pour lui ce que je rejette pour moi-même. Mais j’ai choisi le moindre mal lorsque j'ai réalisé à quel point vous aviez raison, tout en étant convaincu qu’il sera plus indiqué que moi pour accomplir ce que vous m'aviez demandé … je vous fais donc don de lui ..."
Cette proposition fut accueillie favorablement à l’unanimité et le 27 novembre 1832, les chefs de tribus, notamment les Beni Ameur, les Derqâoua alliées des Hachîm, et les ulémas se réunirent dans la plaine de Ghriss, près de Mascara pour exprimer leur premier plébiscite à Abd-el-Kader sous l’arbre de Dardara au cours duquel il reçut le titre de Nacer eddine (le protecteur de la religion). Par ses talents d'orateur, son énergie et son charisme, il affirme d'emblée son autorité. Le jeune Abd-el-Qader est élevé à la dignité d'émir ; il n'avait que 24 ans.

Cette nomination sera suivie d’un deuxième plébiscite général le 4 février 1833. Ensuite, c’est toute l’Algérie résistante qui se reconnaîtra dans ce chef, confirmant une stature qui ne sera jamais démentie.

L’émir jouissait d’un grand prestige au Maroc, ayant prêté allégeance au sultan Abd-er-Rahman. Celui-ci, qui pouvait se sentir menacé par les Français, disposait d’une forte légitimité religieuse, nécessaire pour conduire le Jihad, la guerre sainte. Le collège des ouléma de Fès avait reconnu publiquement son autorité.
Mais très vite l’engagement du sultan ne sera pas à la hauteur des espérances des Algériens.

Sabre de l'Emir Abd-el-Qader

— Sabre de l'Emir Abd-el-Qader —

1832-1840 - Organisation de la résistance et premières victoires
’Emir prit en charge la lourde responsabilité de la guerre sainte, de défense de la population et de la terre d’Islam alors qu’il était en pleine jeunesse. Très vite, il soumet sa région, l'Ouest de l'Algérie, à l'exception des villes d'Oran et Tlemcen, ottomanes, et des villes côtières de Mostaganem, Béjaïa et Mazagran, aux mains des Français.
Stratège militaire, il lance l’appel au Djihad et dirige la résistance à partir de Mascara sa capitale. Cette période fut marquée par des victoires militaires et politiques qui contraignirent l’ennemi français à hésiter dans l'application de sa politique expansionniste devant la résistance acharnée qu'il rencontra à l’Ouest, au Centre et à l’Est.

Il défait les troupes françaises et oblige le général Desmichels à signer un traité qui reconnaît son autorité, le 26 février 1834.

Face à ce jeune guerrier, intelligent et audacieux, au prestige rapidement établi, les Français tentèrent d’abord de ruser. Le général Desmichels discernait de quelle utilité pourrait être, à son insu, Abd-el-Kader : il unifierait les tribus rebelles et, moyennant un accord avec lui, les conquérants pourraient à leur tour établir leur protectorat.

De son côté, Abd-el-Kader avait momentanément avantage à la paix, le temps d’unifier ses troupes. Le général et l’émir se mirent donc d’accord, le 26 février 1834, pour signer ce qu’on appela par la suite le "Traité Desmichels".

Pistolet de l'Emir Abd-el-Qader

— Pistolet de l'Emir Abd-el-Qader —

Reprise des hostilités
écidé sans l’avis du gouvernement français, l'accord signé le 26 novembre 1836 avec le général Desmichels, reconnaissait à Abd-el-Kader le titre de Commandeur des croyants et sa souveraineté sur le beylik d’Oran, à l’exception des villes d’Oran, d’Arzew et de Mostaganem.
En fait ce traité était gros de malentendus, les deux versions, française et arabe, étant contradictoires.
Les conquérants n’y voyaient qu’un armistice provisoire ; Abd-el-Kader le considérait comme la reconnaissance de sa souveraineté, au-delà même de la province d’Oran.
Les hostilités reprirent donc sans beaucoup tarder entre les Français et l’émir. Le gouverneur Clauzel lança deux expéditions successives sur les terres d’Abd-el-Kader, qui évita le combat et réoccupa le terrain.

Boussole de l'Emir Abd-el-Qader

— Boussole de l'Emir Abd-el-Qader —

Bataille d'El Mactaâ - 28 juin 1835
e général Desmichels, dont la politique est contestée à Paris, est remplacé par le général Trézel, moins conciliant. C’est la Convention du Figuier, signée le 16 juin 1835 entre les douaïrs et les zmal’has d’une part et le général Trézel d’autre part, qui est le prélude au déclenchement des hostilités.

Le 28 juin 1835, Abd-el-Kader, alors âgé seulement de 27 ans, affrontera en une mémorable bataille, les troupes du général Trézel. Usant d’une tactique militaire d’un style nouveau et révolutionnaire défiant toutes les stratégies militaires usuellement admises à l’époque, il inflige aux envahisseurs une mémorable défaite. Les troupes françaises s'étant aventurées loin de leurs bases, sont proprement décimées par celles de l'émir dans les marais de La Mactaâ.

En apprenant que l’émir regroupe son armée près de la plaine du Sig (2.000 cavaliers et 800 fantassins), Trézel va commettre la plus grave erreur dans l’histoire des guerres. Le général, sorti d’Oran le 26 juin 1835 à la tête d’une colonne de 2.600 hommes d’infanterie en plus d’un régiment de chasseurs d’Afrique lourdement équipés, va affronter l’avant-garde de l’émir dans la dense forêt de Moulay Ismaïl en une attaque frontale et sur les flancs aussi soudaine qu’efficace (tactique dite de "l’étau par la tenaille") de la part du détachement de reconnaissance des troupes de l’émir.
Ce qui ne devait être qu’une mission de reconnaissance est en réalité un véritable cauchemar pour la colonne française qui, ébranlée, va sombrer dans la confusion la plus totale. L’attaque semblant se relâcher, au lieu de revenir vers Oran (distante de quelque 40 km), les troupes de Trézel reprennent leur marche en avant pour atteindre les rives du Sig vers le coucher du soleil où ils bivouaquent. Deuxième erreur stratégique de la part de Trézel.
L’émir coupe cette nuit-là les lignes de communication ennemies avec Oran, ce qui empêche Trézel de tenter une percée et l’oblige à prendre la direction du port d’Arzew.
Troisième erreur tactique. Couper droit à travers une région presque impraticable est difficile à entreprendre. Il ne reste à Trézel que de contourner les monts Hamiyyane pour ensuite déboucher dans la plaine d’Arzew par le défilé de l’Oued Habra, qui prend à cet endroit le nom d’El-Mactaâ.
Comprenant cela, grâce à son génie militaire, qu’il apprend in situ et non dans les académies militaires de renom, l’émir envoie 1.000 fantassins en croupe derrière 1.000 cavaliers pour occuper les pentes du défilé. L’étau en place, la tenaille peut entrer en action et diriger les troupes françaises vers les marécages.

Le piège est réussi. La colonne Trézel est décimée. Le 28 juin 1835, tout est fini : le bilan est lourd des deux côtés : d’après les rapports militaires de l’époque découverts récemment, les pertes françaises sont évaluées à près de 1.000 morts et environ 1.500 blessés ; l’émir fait en outre de nombreux prisonniers.

Retraite (Jazet - 1837)

— Combat dans les marais —

Après cette bataille, "Laâouar" (Trézel était borgne) est remplacé par un autre illustre général, le général d’Arlanges, alors que le général comte Drouet d’Erlon est remplacé, lui, par le maréchal Clauzel.
Cette valse de généraux prouve l’ampleur du désastre du côté français, qui a lieu d’abord à la forêt de Moulay Ismaïl pour ensuite se terminer dans les fameux marécages d’El-Mactaâ.

Après l’offensive coloniale contre Mascara et Tlemcen en 1836, Il déplace sa capitale à Tagdemt.

Bataille de la Macta (Hocine Ziani)

— Bataille de la Maqtaâ —

Traité de la Tafna avec le général Bugeaud
’est alors que Paris envoya un nouveau général, Bugeaud, en Algérie. D’emblée, il s’y fit une réputation, en remportant une victoire sur les hommes de l’émir, au bord de l'Oued Sikkak (6 juillet 1836), avant de regagner la France. Clauzel, toujours gouverneur général, décida alors de lancer une expédition à l’Est, sur Constantine. Ce fut un échec désastreux, qui provoqua son remplacement par le général Damrémont.
Rappelé en Algérie, Bugeaud fut chargé de la négociation avec Abd-el-Kader. Il improvisa une diplomatie toute personnelle, concrétisée par un nouvel accord signé à Tafna, le 30 mai 1837. Bugeaud céda des concessions territoriales jugées exorbitantes par les Français, mais il y gagna quelques avantages personnels, et notamment la jolie prime de 180.000 francs destinée à l’entretien des chemins vicinaux de la Dordogne, dont il était député. Ce traité de la Tafna fut sujet, une fois encore, aux interprétations contradictoires entre les deux parties quant aux limites territoriales qui étaient assignées à Abd-el-Kader, mais il donnait aux Français le répit nécessaire pour s’emparer de Constantine, ce qui fut fait, lors d’une nouvelle expédition en octobre 1837.

Création d'un état
ur son territoire, Abd-el-Kader avait profité de l’accalmie intervenue entre lui et les Français pour affirmer son pouvoir aux yeux de tous.
Abd-el-Qader s’atèle à la fondation d’un Etat capable de réaliser l’unité de la Nation et de chasser l’envahisseur. Il rassemble sous sa bannière les tribus de l’Oranie, du Sud, de l’Est et de Kabylie qui se placent sous la direction de son Etat qui contrôle désormais les deux tiers de l’Algérie.
Homme d’Etat, il organise le territoire en khalifas (Mascara, Médéa, Miliana, Tlemcen, Zïbans, Medjana) disposant de 59.000 combattants. Au cours de cette période, il lance un vaste programme de développement urbain, économique et administratif, frappe la monnaie et ouvre de nombreux ateliers industriels dont les fabriques d’armement.

L'Emir était conscient que seule la paix pouvait favoriser un travail d’organisation du pays. Ecoutons-le lorsqu’il écrivait à Louis-Philippe, le 15 avril 1839 :
"Restons chacun dans les pays qui sont dans nos mains ; d’ici à douze ans, alors mon royaume aura vingt ans d’âge : chaque année de mon royaume comptera pour un siècle du vôtre, et nous combattrons".

L’Émir a effectivement construit sur des bases solides un état-nation moderne avec tous ses symboles de souveraineté, à savoir :
- Un Drapeau - Plus tard, Ferhat Abbas, revendiquant à l’Assemblée Nationale Française le drapeau algérien, alors que le général Giraud soutenait que l’Algérie n’en a jamais eu, le leader algérien répondit : "Le drapeau algérien a été consacré par le Traité de la Tafna conclu entre la France et l’Emir Abd-el-Kader".
Ce drapeau était vert de part et d’autre et blanc au centre avec une main ouverte autour de laquelle on pouvait lire à droite "Nasr Min Allah Oua Feth Qarib" (la victoire vient de Dieu et la délivrance est proche) et à gauche "Nasr-ed-dine Abd-el-Qader Ben Mouhieddine" (celui qui fait triompher la religion : Abd-el-Kader fils de Mouhieddine).

Drapeau de l'Emir Abd-el-Qader

— Drapeau de l'Emir Abd-el-Qader —

- Un Sceau - Le Sceau de l’Emir était constitué de deux cercles concentriques autour d’une étoile à six branches faisant penser à celle de Sidna Daoud (David) ; mais en fait, l'étoile représente le Sceau de Salomon et non l'étoile de David comme on pourrait le croire. Le sceau de Salomon était un symbole très populaire et fréquemment employé dans l'art musulman médiéval.
Dans le grand cercle, était écrit ceci : "Celui qui aura, par l’intervention du prophète, l’assistance protectrice de Dieu, si les lions le rencontrent, ils fuiront dans leurs tanières".
Dans le petit cercle l’on peut lire ceci : "Billah (par Dieu), El Qader (Le Puissant), El Moutine (Le Solide), Moulana (Notre Maître), Amir El Mouminine (Chef des croyants), El Mansour (Le Victorieux)".
Ensuite à l’intérieur des branches sont cités les noms d’Allah, Mohammed, et celui des califes : Abou Bekr, Omar, Othmane et Ali.
Au centre du sceau, il y avait Abd-el-Qader Ben Mouhieddine -1248 (1832).
Dans le drapeau et le sceau de l'émir, on retrouvera une partie de la symbolique utilisée par Barberousse dans son pavillon (couleurs, main, sceau de Salomon, citation, les noms des quatre califes). (voir la biographie de Barberouusse)

Sceau de l'Emir Abd-el-Qader

— Sceau de l'Emir Abd-el-Qader —

- Une Monnaie Nationale - Frapper monnaie dans un climat de guerre était un signe de domination et un symbole d’autorité et cela est une très nette affirmation de la souveraineté. Parallèlement à l’établissement de sa puissance politique sur le plan territorial par l’unification du pays, l’Emir a voulu donner à l’état qu’il créait, une base financière et une monnaie qui, n’étant pas frappée en son nom à Tagdempt instaurait déjà un caractère national dans la construction d’un Etat à l’exemple des états modernes du XIXe siècle.
La Frappe d’une monnaie nationale par cet homme extraordinaire a donné plus de grandeur dans l’affirmation de l’Etat qu’a créé l’Emir. Cette monnaie prouve que l’Emir a non seulement unifié le pays mais il a aussi entamé la modernisation de l’Etat qu’il tente de créer.

Pour assurer l’unité de la nation autour d’un Etat moderne et empêcher les Français de gagner à eux des chefs de tribus, l’émir comprit qu’il fallait imposer l’unité et profiter du répit pour construire l’Etat moderne, support de la nation et moyen de résistance.
Les objectifs de l’Emir (qui devait régner sur les 2/3 de l’Algérie) étaient basés sur la volonté de la nation, l’incarnation du djihad et l’organisation de l’Etat.
Certains concepts doivent être définis simplement pour mieux comprendre le génie de l’Emir: Si l’Etat est défini comme une entité politique constituée d’un territoire délimité par des frontières, d’une population et d’un pouvoir institutionnalisé, et bien l’Emir avait bien créé cet Etat : Les deux traités signés avec la France (celui dit "Desmichels" le 26 février 1834 et celui dit de "Rachgoun" le 30 mai 1837) ont bien délimité ce territoire à plus des 2/3 de celui constitué par la Régence.
L’Etat spécifiquement Algérien fut fondé sur une base populaire, ce qui est conforme à la tradition Musulmane pour qui le consensus, "El Idjmaâ" est fondement de la légitimité.

Cette base populaire était composée d’un ensemble de tribus arabo-berbères que l’Emir s’était efforcé d’unifier autour d’un Pouvoir central ou "Diouane" institué par l’Emir siégeant au début soit à Mascara soit à Médéa. Titulaire donc de la souveraineté, l’Emir personnifiait juridiquement la Nation définie comme une "grande communauté humaine", installée sur un même territoire et qui possède une unité historique, linguistique, culturelle et économique.

Cavaliers de l'Emir Abd-el-Qader   Fantassins de l'Emir Abd-el-Qader

— Cavaliers et fantassins de l'Emir Abd-el-Qader —

Violation du traité
e nouveau gouverneur, Valée, entreprit une expédition sur Hamza, territoire contesté ; le 28 octobre 1839, une colonne française menée par le duc d’Orléans, fils du roi Louis-Philippe, franchit le défilé des Portes de Fer. Suite à cette intrusion sur son territoire, l’émir dénonça la violation du traité de la Tafna, et le 18 novembre 1839 se décida à proclamer la guerre sainte. Il lança alors ses cavaliers sur la zone de colonisation européenne de la Mitidja, provoquant le ralliement des Algériens travaillant au service des colons. Une partie de la population algérienne, éprouvée par la répression mais aussi par la sécheresse et le choléra, renonce à la résistance.

L'émir Abd-el-Kader tient bon face aux épreuves. Il réprime les séditions et massacre comme il convient les tribus qui le lâchent. Soucieux d'éviter un combat frontal avec les Français, il harcèle ceux-ci et les surprend en misant sur la mobilité. Parcourant le pays à marches forcées, il n'est jamais là où on le croit. Pour le ravitaillement de ses hommes et de ses chevaux, l'émir s'assure partout des réserves, des silos et des greniers bien remplis.
Les Français, qui avaient longtemps hésité sur l’avenir de leur entreprise, répondirent par la guerre totale et la colonisation militaire. Thiers, à la Chambre, défendit le principe de cette nouvelle politique ; à laquelle Bugeaud avait fini par se rallier et dont il devait être l’instrument.

Passage des Portes de Fer (Dauzats)

— Franchissement du Défilé des Portes de Fer (Biban) —

1840-1847 - Guerre totale contre humanisme
ugeaud fut nommé gouverneur général de l’Algérie le 29 décembre 1840, avec les pleins pouvoirs - le terme d’Algérie était devenu officiel depuis octobre 1838.
Il avait compris qu’on ne pourrait venir à bout d’Abd-el-Kader qu’en lui empruntant ses propres armes, et d’abord la vivacité dans le déplacement et l’exécution. La guérilla ou, comme on disait, la "guerre des buissons", découverte par Bugeaud en Espagne dans l’armée napoléonienne, ne devait pas être menée par les armées régulières, trop lourdes et statiques. A la mobilité d’Abd-el-Kader, il tenta de répondre par une capacité d’intervention reposant sur la formation de colonnes de 6 à 7.000 hommes, légèrement équipées. Cela nécessita un renforcement considérable des effectifs français, qui dépassèrent 100.000 hommes en 1846.
La guerre totale décrétée, Bugeaud la livra sans pitié ni scrupules, harcelant son ennemi sans relâche, détruisant les silos dissimulés qui servaient de réserve à l’adversaire, s’acharnant contre les récoltes, faisant enfumer des populations entières, hommes, femmes et enfants, dans des grottes, assumant explicitement le terme de "barbare" et bravant les critiques de la presse et de l’opposition, en particulier celles de Louis Blanc et d’Alexis de Tocqueville.

Dans "Choses vues", Victor Hugo, qui était pourtant favorable à la colonisation, écrit : "L´armée faite féroce par l´Algérie. Le général Le Flô me disait hier soir, le 16 octobre 1852 : "Dans les prises d´assaut, dans les razzias, il n´était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d´autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d´oreilles aux femmes et les oreilles avec, ils leur coupaient les doigts des pieds et des mains pour prendre leurs anneaux."

Musulman pieux, l'Emir ne manquait jamais de rappeler ce verset du Qoran : "Celui qui tue un homme, tue l’humanité tout entière ..."
A la sauvagerie de la guerre totale décrétée par l'armée française, Abd-el-Kader opposait un comportement humaniste qui étonnait ses propres ennemis. Ainsi le maréchal Saint-Arnaud disait dans une lettre du 14 mai 1842 :
"Abd-el-Kader nous a renvoyé sans condition, sans échange, tous nos prisonniers. Il leur a dit : « Je n’ai plus de quoi vous nourrir, je ne veux pas vous tuer, je vous renvoie ». Le trait est beau pour un barbare."

Evêque Dupuch

— L'évêque Antoine-Adolphe Dupuch —

Ou encore, en pleine guerre de conquête, il négocie les échanges de prisonniers avec Mgr Dupuch, évêque d’Alger, dans des conditions qui lui valent de durables amitiés.
Il rédige un traité à cet effet, bien avant les conventions de Genève !
Ce règlement militaire, interdisant la torture et la mise à mort des captifs ennemis, a été formalisé dans une charte, elle-même approuvée par  une large assemblée des chefs et des représentants des structures de l'Etat  algérien de l'époque.

L'initiative de l'Emir va préfigurer la Convention de Genève, adoptée en 1864. Ce règlement imposait le respect des besoins spirituels des prisonniers en autorisant l'envoi de prêtres dans les camps, anticipant ainsi les textes de Genève de 1929 et 1949.
Ce décret récompense pécuniairement tout soldat qui amènerait un prisonnier ennemi sain et sauf quelque soit sa confession. Plus encore, il menaçait celui qui violerait cette règle de la sanction la plus sévère.
Il existe plusieurs traductions de ces "Règlements donnés par l’émir Abd-el-Kader à ses troupes régulières" (1843) :
"Tout Arabe ayant un Français ou un chrétien en sa possession est tenu pour responsable de la façon dont il est traité [...]. Au cas où le prisonnier se plaindrait du plus petit sévice, l’Arabe qui l’a capturé perdrait tout droit à recompense."

L’attention que portait l’Emir aux prisonniers de guerre, est illustrée par cette missive envoyée à Monseigneur Dupuch, archevêque d’Alger :
"Envoyez un prêtre dans mon camp. Il ne manquera de rien. Je veillerai à ce qu’il soit honoré et respecté comme il convient à celui qui est revêtu de la noble dignité d’homme de Dieu et de représentant de son Evêque. Il priera chaque jour avec les prisonniers, il les réconfortera, il correspondra avec leurs familles. Il pourra ainsi leur procurer le moyen de recevoir de l’argent, des vêtements, des livres, en un mot tout ce dont ils peuvent avoir le désir ou le besoin, pour adoucir les rigueurs de leur captivité".
A ce sujet, et lors de l’un de ses discours en faveur de l’Emir Abelkader, Monsieur Jacob Kellenberger, président du comité international de la Croix-Rouge déclare :
"Je vous épargnerai la liste de tous les articles des conventions de Genève qui traitent du sujet, mais vous pouvez me faire confiance que le même esprit les anime. L’Emir a donné à l’avance et sans le savoir une description fidèle de ce qui constitue aujourd’hui encore le travail quotidien des délégués du C.I.C.R : apporter réconfort aux détenus et s’assurer que leurs droits soient respectés, rassurer leurs familles".

Le comportement chevaleresque, la grandeur morale et l’humanité de l’Emir sont reconnus par ses ennemis. Il institue un règlement humanitaire pour ses prisonniers, dont sa mère s’occupe avec une très grande sollicitude. Le représentant de l’église à Alger, très sensible à la demande d’une épouse dont le mari était prisonnier chez l’Emir, intercéda auprès de ce dernier pour obtenir sa libération.
Le sous-intendant retrouva sa liberté dignement. On lui remit son fusil, des habits neufs de la nourriture et une lettre de l’Emir à Monseigneur Dupuch dans laquelle il écrivit :
"Permets-moi de te faire remarquer qu’au double titre de serviteur de Dieu et ami des hommes, tu aurais dû me demander, non la liberté d’un seul mais de tous les Chrétiens qui ont été faits prisonniers depuis la reprise des hostilités. Bien plus, tu serais deux fois digne de ta mission en étendant la même faveur à un nombre correspondant de Musulmans qui languissent dans vos prisons".
Deux opérations d’échange de prisonniers sont organisées sous les auspices de l’Emir et de monseigneur Dupuch. Malheureusement, une fois libre, les militaires Français ne pouvaient pas rejoindre les rangs de l’Armée. En détention, le trompette Escoffier a eu l’honneur et le privilège de voir l’Emir Abd-el-Kader lui accrocher en cérémonie officielle, la croix de la légion d’honneur qui lui a été décernée par le Roi Philippe pour avoir sauvé son supérieur dans la bataille de Sidi Brahim. En ce temps là, la convention de Genève n’était pas encore rédigée.

La magnanimité de l’Emir a semé le doute au sein des officiers de l’Armée Française, allant jusqu’à éviter la procédure des échanges des prisonniers. Un des officiers supérieurs (le colonel de Géry), a confié à Monseigneur Dupuch :
"Nous sommes obligés de cacher, autant que nous le pouvons, ces choses à nos soldats, car s’ils le soupçonnaient, jamais ils ne combattraient avec autant d’acharnement".
Effectivement, après ces deux opérations, le Roi Louis-Philippe ne donna aucune suite aux nouvelles propositions de L’Emir Abd-el-Kader.

Alors que l'Emir Abd-el-Qader faisait preuve de compassion, que dire des exactions de l’armée française à la même époque : populations exterminées, récoltes et habitations brûlées, arbres abattus..., avec le dessein de soumettre la population algérienne à la famine.

Cette attitude chevaleresque, tout à l'honneur d'Abd-el-Qader, était peut-être irréaliste face à un ennemi cynique et sans scrupules. Bugeaud, cependant, se heurtait à un adversaire qui faisait bonne mesure. Peu à peu, en effet, Abd-el-Kader avait posé les fondements d’un État algérien. Non seulement l’émir était le chef d’une armée bien organisée, il se révéla aussi un excellent administrateur, mettant en place des circonscriptions et des fonctionnaires, assurant ainsi un minimum de centralisation. Il s’employa à la réforme fiscale en établissant l’égalité par la dîme sur les récoltes et l’impôt sur les troupeaux. Il frappa une monnaie, le "boudiou", dans sa capitale de Tagdempt. Il s’efforça aussi de compléter les importations d’armes par la création de ses propres fabriques.
L’ascendant d’Abd-el-Kader sur ses hommes ne s’explique pas seulement par ses faits d’armes, mais aussi par son autorité religieuse. Bugeaud lui-même a su distinguer chez son adversaire une grandeur d’un ordre qui échappait à ses catégories de sabreur : "Cet homme de génie que l’histoire doit placer à côté de Jugurtha" écrivit-il, "est pâle et ressemble assez au portrait qu’on a souvent donné de Jésus-Christ."

La Smala
a nouvelle tactique de Bugeaud obligea Abd-el-Kader à accroître encore sa mobilité.
Dans la smala de Tagdempt, le premier édifice qu’Abd-el-Kader avait réalisé est une bibliothèque dotée d’un fonds documentaire très riche. Le général Bugeaud détruira cette smala et brûlera tous les ouvrages contenus dans cette bibliothèque. Tagdempt fut incendiée et toutes ses villes tombèrent les unes après les autres.

Abd-el-Kader conçut alors une nouvelle smala, capitale mobile, avec deux objectifs : montrer sa puissance par sa présence massive aux tribus sur leur propre terrain et les habituer à la migration, renouant ainsi avec leur ancienne tradition.
Un ordre implacable régnait dans l’organisation spatiale de cette ville nomade, ce qui garantissait la vitesse de son installation et de son déménagement. Elle était conçue comme une série de cercles emboîtés selon un agencement à la fois militaire et cosmogonique, d’inspiration soufie. Elle permettait de mettre à l’abri les familles des combattants et les blessés pendant que les cavaliers allaient très loin combattre les Français, mais aussi les membres et les biens des tribus qui se plaçaient sous la protection de l’émir. Cela explique le très grand nombre d’occupants, ordinairement entre 20 et 30.000 personnes, mais qui a pu atteindre 60.000, selon Abd-el-Kader lui-même. La smala est essentiellement composée de femmes, d'enfants et de serviteurs.

Le 16 mai 1843, après une traque de plusieurs jours et profitant de ce qu'Abd-el-Kader patrouille à quelque distance avec ses hommes, le duc d’Aumale, cinquième fils du roi Louis-Philippe, à la tête de 600 cavaliers, surgit au cœur de la smala désarmée et s'en empare près du puits de Taguine, au Sud-Ouest de Béjaïa. Le butin est énorme, incluant les manuscrits de l'émir. Il s’empara de la tente de l’émir, alors absent, fit prisonniers nombre de ses parents, dispersa ses manuscrits et pilla ses trésors. La mère, la femme et les enfants d’Abd-el-Kader parvinrent toutefois à s’échapper.
Face à la résistance farouche qui s’oppose à l’attaque surprise des Français, le duc d’Aumale note : "C’était grandiose et terrifiant [...]. Des hommes qui refusent de mourir sans avoir défendu leur vie."

Cet événement somme toute sans gloire, ne fut pas décisif, mais aura un énorme retentissement en France. La propagande de la monarchie de Juillet en tira grand profit, au point d’en faire un des clichés de la conquête coloniale française pour le reste du siècle.

L'Emir est isolé
’appui donné à Abd-el-Kader par Abd-er-Rahman conduisit Bugeaud, devenu maréchal en juillet 1843, au projet de neutraliser le sultan du Maroc.
Harcelé, l'émir se réfugie au Maroc avec son dernier carré de fidèles mais le sultan marocain est bientôt contraint par les Français de lui retirer son soutien. Le traité de Tanger, signé le 10 septembre 1844 après la victoire des Français sur les Marocains à la bataille de l’Isly, porta un coup très dur à Abd-el-Kader, mis hors la loi par son ancien protecteur.

En effet, il y aura un recul des forces de l’Emir notamment après la perte de ses bases arrières au Maroc, et après que le sultan marocain eut resserré l’étau autour de lui, prétextant son engagement à respecter les termes du traité de « Lalla Maghnia » et ordonné à ses troupes de pourchasser l’Emir et ses partisans y compris les tribus qui s'étaient réfugiées au Maroc pour fuir la répression de l’armée d’occupation.

Le changement intervenu dans le rapport de forces sur les plans interne et régional a eu des conséquences négatives sur le cours de la résistance de l’Emir. Il n’était pas seulement contraint de lutter contre les Français mais de se préoccuper également de ceux qui avaient une vision à court terme ; sans parler des drames qui se succédèrent notamment après que les Français eurent adopté la politique de la terre brûlée.

Jacques Frémaux dans "Les bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête", page 115, nous rapporte :
"Abd-el-Kader garde néanmoins assez de force et de prestige pour contraindre l’armée française à des efforts épuisants, au début de 1846, Bugeaud écrit de lui au ministre de la Guerre" : « Il (Abd-el-Kader) est jeune, habile, actif et persévérant. Il est l’homme de la guerre et de la religion. Son génie et dix ans de règne lui ont donné sur l’esprit des Arabes une grande autorité. Leur enthousiasme, leur dévouement pour lui, vont jusqu’au fanatisme ». « Sa force matérielle est peu considérable et il compte... un millier de cavaliers réguliers avec lesquels il fait ses courses rapides que nous avons peine à comprendre. Mais sa force morale peut se calculer en grande partie sur la force des tribus. »

Les aveux de celui qui n’eut le bonheur ni de vaincre, ni de capturer l’Emir Abd-el-Kader - le général Bugeaud - sont puisés dans des conversations strictement privées et n’ont jamais fait l’objet d’écrits rendus publics. Les officiers français - à toutes les époques de la colonisation - n’ont jamais été favorables à révéler à l’opinion publique le comportement d’Abd-el-Kader tant dans les rapports guerriers que dans les relations diplomatiques avec ses adversaires français.
C’était des rapports d’un homme loyal, d’un humaniste, d’un homme de paix (le recours à la violence lui fut imposé) qui œuvrait pour le rapprochement des peuples, même s’ils sont différents par la race ou par la religion. L’historiographie et l’histoire officielle française furent malheureusement avares en éloges envers un homme qui fut sans conteste une légende vivante. Bien au contraire, tout fut mis en œuvre pour discréditer la personnalité de l’Emir Abd-el-Kader.
Les aveux de Bugeaud cités plus haut ne sauraient être des déclarations de complaisance. Le maréchal de France a combattu férocement l'Emir et combien espérait-il le tuer dans un combat ou en faire un prisonnier pour conquérir les honneurs de Paris. Cela ne peut pas être un témoignage de sympathie, quand nous savons que Bugeaud mobilisa une très forte armée en la dotant d’un gigantesque arsenal pour venir à bout d’une résistance qui s’éternisait en Algérie.

Désavoué par le gouvernement au sujet de la campagne qu’il avait entreprise sans autorisation en Kabylie, le maréchal sera destitué et remettra sa démission avant d’être rappelé en France, le 5 juin 1847.
Le duc d’Aumale lui succéda comme gouverneur de l’Algérie et fut chargé de poursuivre la lutte. La fin de l’aide marocaine coûtait beaucoup à Abd-el-Kader. Le sultan Abd-er-Rahman était désormais un instrument aux mains des Français.

Devant la poussée de l’ennemi, servi par des moyens colossaux, l’Emir concède Médéa, Tagdemt, Saïda et Tlemcen et, malgré quelques percées dans la Mitidja, et le Chlef, il recule vers le Dahra. Il reprend cependant l’offensive dans l’Ouarsenis, en Kabylie et dans le Sud (Djebel Amour), contrecarré dans ses projets par le Sultan du Maroc qui lance contre lui ses troupes.

Bien qu'affaibli par le retrait de confiance de quelques tribus, Abd-el-Kader gagnera quand même la bataille du Djebel Kerkour et de Sidi Brahim en septembre 1845, mais acculé, il rendra les armes le 23 septembre 1847, aux généraux de Lamoricière et Cavaignac.

Le général Lamoricière reçut l’épée de l’émir contre la promesse formelle qu’il serait conduit avec sa suite soit à Alexandrie, soit à Saint-Jean d’Acre. Le duc d’Aumale avait confirmé la parole du général. Pourtant une campagne de presse et un débat parlementaire en eurent raison.

Il dut abandonner le combat sous certaines conditions. Mais on lui a répondu en le mettant en prison. Durant les dernières années de résistance, la plupart des tribus engagées dans le combat furent complètement razziées. Abd-el-Kader, qui est un homme de religion, après avoir consulté les ouléma, a donc décidé d’abandonner une guerre qui devenait de plus en plus meurtrière et de plus en plus nocive.

Mais les espoirs de l'émir furent déçus et comme pour les traités qu'ils avaient signés, les Français ne respectèrent pas leurs engagements. Abd-el-Qader aurait plutôt souhaité mourir au champ d’honneur que de subir ce sort et exprima ses regrets par ces mots :
"Si nous avions su que les choses se dérouleraient ainsi, nous aurions poursuivi le combat jusqu’à la mort".

S’ensuit juste après sa déchéance, désolation, razzias tous azimuts, enfumades et exterminations.

Emir Abd-el-Qader (Hocine Ziani - 1984)

— L'Emir Abd-el-Qader —