Abd-el-Qader / Page 3
Captivité en France
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Citations

Abd-el-Qader (Hocine Ziani)

Biographie de l'émir Abd-el-Kader - Page 4 -
– Exil forcé au Moyen-Orient (1852 - 1883) –

Abd-el-Qader en Turquie (1853 - 1855)
bd-el-Kader et sa suite débarquent à Istanbul le 7 janvier 1853. Il visita le tombeau de Abu Ayyoub al Ansari et visita la mosquée Aya Sofia (Sainte Sophie). Dix jours plus tard, ils se rendent à Brousse (Bursa), au sud de la mer de Marmara, pour son histoire, ses beaux sites et ses monuments historiques. Cependant, il n’y restera pas très longtemps. Bursa sera leur lieu de résidence pour deux ans seulement, à cause des séismes qui secouaient la région de temps à autre.
Jusqu’à sa mort, Abd-el-Kader restera en rapport avec les autorités consulaires françaises dans l’empire turc, chargées de lui transmettre la pension de 150 000 F que lui accordait le gouvernement français, mais aussi de surveiller ses moindres faits et gestes, par l’intermédiaire d’un interprète chargé de l’espionner jusqu’en 1857.
Durant le reste de son existence, Abd-el-Kader se consacra à une activité intellectuelle et religieuse, prolongeant l’éducation de ses enfants par un enseignement qui fit de lui un maître spirituel renommé dans le monde musulman. Un certain nombre de ses élèves devinrent des penseurs importants, mystiques ou politiques, précurseurs du nationalisme arabe.
Il entretenait une suite qui devint peu à peu une nombreuse communauté dont les membres, par leurs voyages au pays natal, lui permettaient de rester en relation avec l’Algérie. Ses rapports avec le gouvernement turc restèrent toujours difficiles, car Abd-el-Kader, tout en reconnaissant la prééminence de la Turquie dans le monde musulman, lui reprochait d’avoir abandonné l’Algérie face à la conquête française. Il parvint toujours à se soustraire à l’impôt ottoman, en qualité de ... Français, profitant ainsi du régime des Capitulations, qui exonérait de fiscalité les résidents des puissances européennes dans l’empire turc ! Cela conduisit parfois le gouvernement turc, inquiet de l’influence politique d’Abd-el-Kader, à se plaindre auprès de la France, qui le soutint toujours et reversa à ses descendants la pension qu’elle lui accordait. L’amitié franco-turque, amorcée par la guerre de Crimée et qui dura jusqu’à la fin du siècle, permit cependant à Abd-el-Kader de bénéficier d’une relative liberté de mouvement.

Le départ en Syrie (1855)
n août 1855, Brousse fut partiellement détruite par un tremblement de terre, et Abd-el-Kader décida de se rapprocher des Lieux Saints de l’Islam. Napoléon III, qu’il avait revu à Paris lors de l’exposition universelle de 1855 (il avait même assisté au Te Deum en l’honneur de la prise de Sébastopol), acquiesça à son désir de s’installer à Damas où était enterré Ibn Arabi, le maître soufi du XIIème siècle, dont il se réclamait. Établi à Damas avec l’appui de la France en novembre 1855, il vécut désormais en terre arabe sous domination turque. Là, un grand nombre d'Algériens le rejoignent. Sa popularité continuait d’inquiéter les autorités ottomanes et la surveillance des Turcs et des Français ne se relâcha pas pendant le voyage qu’il entreprit à Jérusalem en 1856.

Abd-el-Kader, protecteur des Chrétiens (1860)
n 1856, un décret du sultan conforme à l’esprit des réformes entreprises en 1839, les Tanzimat, avait adopté le principe de l’égalité des musulmans et non-musulmans devant la loi, supprimant ainsi l’impôt cultuel que devaient verser les Chrétiens.

Les Druzes de Syrie, considérant les Chrétiens maronites comme l’avant-garde des envahisseurs européens, les pourchassèrent et les massacrèrent en juillet 1860 avec la complicité du gouverneur turc de Syrie. Abd-el-Kader, en prenant leur défense et celle des Européens de Syrie, en paroles et en actes, (il obtint du gouverneur l’autorisation d’armer ses Algériens) se comportait avant tout en musulman pour qui les minorités juives et chrétiennes en Islam sont des "dhimmi", des protégés que tout croyant doit respecter.

Intervenant personnellement, au péril de sa vie et des siens, non seulement il maintient l’ordre à Damas, mais ce faisant il sauve du massacre des milliers de chrétiens.

Ce fait historique a valu à l'Emir la reconnaissance des souverains de l'époque qui le comblèrent de décorations et de présents. En réponse à une lettre pleine de louanges de monseigneur Pavy, archevêque d'Alger, l'Emir répondra simplement que : "Ce que nous avons fait de bien envers les chrétiens, nous nous devons de le faire par fidélité à la foi musulmane et par respect des droits humains. Notre Dieu et le Dieu de toutes les communautés opposées à la nôtre est véritablement un Dieu unique..."
Ainsi se renforça l’amitié entre Abd-el-Kader et la France, qui le décora de la cravate de commandeur de la Légion d’Honneur. Napoléon III pensa alors en faire l’instrument de sa politique en Orient qui, sous couvert de la protection des Chrétiens, visait à la création d’un vaste royaume arabe indépendant de la Turquie, sous contrôle de la France. Son prestige politique et religieux permettait à Abd-el-Kader d’assumer cette position ambiguë de médiateur entre Chrétiens et Musulmans. Elle lui valut en France et en Europe une popularité considérable, entretenue par les lettres qu’il adressait aux journaux.

Abd-el-Kader protégeant des Chrétiens à Damas (Huysmans)

— Abd-el-Kader protégeant des Chrétiens à Damas —

Piété et ouverture d'esprit
"Le Kalam (la plume), depuis qu'il a été taillé a pour esclave le sabre depuis qu'il a été effilé". (Abd-el-Kader)

"Gardez-vous de ne faire partie que d'une des deux espèces d'hommes, le rationaliste et le croyant, soyez les deux". (Abd-el-Kader)

Dans son exposition itinérante intitulée "l'Emir Abd El-Kader : un homme, un destin, un message", Madame Geneviève Simon-Khedis, décrit ainsi ce grand homme : "Penseur puissant et original, Abd-el-Kader s’avère par la profondeur de ses analyses, la rigueur de son raisonnement, la hauteur de son éthique, un philosophe et un métaphysicien subtil doublé d'un logicien infaillible qui manie, avec aisance, l'art de la maïeutique.
"Si celui qui veut connaître la vérité venait me trouver, je le conduirais sans peine sur cette voie, non en le poussant à adopter mes idées mais en la lui faisant apparaître, de telle sorte qu'il ne puisse pas ne pas la reconnaître". (Abd-el-Kader)

D'une grande curiosité intellectuelle, l'Emir Abd-el-Kader a une passion pour l'étude, qu'il considère comme un moyen sûr d'avancer sur le chemin de la perfection individuelle. Sensible à la transmission de la connaissance, il voue un intérêt tout particulier aux livres, notamment à la recherche et à la conservation des manuscrits. Philosophe et poète, considéré par ses contemporains comme l'un des esprits les plus cultivés, Abd-el-Kader laisse ses écrits, pour la plupart inédits, qui révèlent une pensée nourrie de la connaissance des textes classiques.
Dans sa "Risala", adressée à la Société asiatique et connue sous le titre "Lettre aux Français ou Rappel à l'Intelligent, avis à l'Indifférent", Abd-el-Kader livre son approche de certains sujets fondamentaux : civilisations, écritures, connaissances...
S'adressant à un public de savants, pour la plupart gagnés à la pensée positiviste, l'Emir attire l'attention sur la complémentarité de la foi et de la raison. Il considère notamment que les sciences et les techniques ne sont pas incompatibles avec le fait religieux. Tout à la fois ouvert aux idées nouvelles et fidèle à la tradition, il estime que l'homme doit s'adapter à la modernité sans perdre son âme.

"A celui qui dédaigne le contemporain et pense que le pas est dû aux anciens, dis : cet ancien a été nouveau et ce nouveau deviendra ancien". (Abd-el-Kader)
Esprit libéral et précurseur, Abd-el-Kader est animé par une foi enthousiaste dans l'avenir et le progrès de l'humanité. Témoignant en permanence d'un intérêt tout particulier pour les innovations techniques. (G. Simon-Khedis) - (Fin de citation).

Approché par le Grand Orient de France au moment où il entreprenait son second voyage à La Mecque, il fut reçu franc-maçon le 16 juin 1864, sans que cette initiation heurtât ses convictions musulmanes. Et il n'y avait aucune raison pour qu'elle les heurte, car à cette époque-là, la franc-maçonnerie admettait « l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme ». Mais par la suite, la dérive des loges vers le laïcisme incitera l'Emir à s'éloigner de la maçonnerie, au point qu'il déclarera ne pas vouloir œuvrer pour sa diffusion en Orient. Donc, si l'on peut admettre qu'Abd-el-Kader fut initié à la franc-maçonnerie, on peut également affirmer qu'il en est sorti dès lors que cette dernière était en opposition avec ses convictions religieuses.

Il séjourna un an et demi à La Mecque, le temps de deux pèlerinages consécutifs, pour mériter le titre de « Compagnon du Prophète ». A Londres, parut en 1867 sa première biographie, écrite par son ami Charles-Henry Churchill, vice-consul anglais à Damas.

Abd-el-Kader et le canal de Suez (1864 - 1869)
armi les amitiés communes à Abd-el-Kader et à Napoléon III figuraient des disciples du comte de Saint-Simon (1760 - 1825), adepte d’un socialisme non étatique accordant une large place à l’entreprise privée.
Le projet de percement du canal de Suez, de l’ingénieur Ferdinand de Lesseps, saint-simonien fervent, a séduit Abd-el-Kader qui espérait un apport réciproque entre la technologie européenne et l’esprit de l’Islam. Ainsi fut-il associé au projet initial, qui englobait la mise en valeur agricole des terrains proches du canal par la main d’œuvre que souhaitait recruter Lesseps en Syrie, avec l’aide d’Abd-el-Kader. Cet aspect du projet n’aboutit pas.

Peu nombreux sont ceux qui savent que, sans son appui à Ferdinand de Lesseps, le canal n’aurait jamais été percé. C’est Abd-el-Kader, alors en retraite à Médine et à La Mecque en 1863-1864, qui convainc les autorités religieuses de la région du bénéfice que les peuples arabes tireraient de cet isthme terrestre reliant l’Orient et l’Occident.

Abd-el-Kader figurera parmi les invités officiels de la France lors de l’inauguration du canal, le 17 novembre 1869. Le khédive Ismaïl Pacha inaugure le canal en présence de toutes les têtes couronnées d’Europe : l’émir est aux côtés de l’impératrice Eugénie et la France a mis à sa disposition une frégate.

La destitution de Napoléon III après la défaite de la France face à la Prusse en 1870, et l’effondrement du Second Empire, déçoivent profondément l'émir, car c'en est fini du projet de Napoléon III d'un "royaume arabe". En effet, il était question de faire d'Abd-el-Kader un vice-roi d'Algérie, et dans ce royaume les musulmans auraient tenu leur place aux côtés des colons. Avec les successeurs de Napoléon III, les Algériens seront ravalés au statut d'indigènes.

En outre, la révolte sévèrement réprimée de Mokrani en Algérie en 1871, sera douloureuse pour Abd-el-Kader qui se consacrera dès lors à l’enseignement théologique, la lecture et la méditation. Entre 1870 et 1880 s'épanouit la "Nahda", la Renaissance, et le salon d'Abd-el-Kader devient un lieu recherché et très fréquenté. Le débat porte alors sur l'articulation entre "arabité" et "islamité" et la primauté qu'il convient d'accorder à l'une ou à l'autre. Certains de ses élèves deviendront des figures marquantes du nationalisme arabe.

Il se détourne donc de la vie politique pour ne plus s’occuper que d’œuvres pieuses et de recherches personnelles jusqu’à sa mort, le 26 mai 1886 à Doumer, dans la banlieue de Damas à l’âge de 76 ans. Il fut enterré à proximité du tombeau de Cheikh Mohieddine ibn Arabi el-Andaloussi.

Sa pensée sera influente dans le monde arabe, en témoignent les leaders du mouvement qui conduira aux indépendances nationales au milieu du XXe siècle.
Son petit fils l'émir Khaled sera l'initiateur, en 1920, du nationalisme algérien.

Retour des cendres d'Abd-el-Qader au pays natal

— Retour des cendres d'Abd-el-Kader au pays natal —

6 juillet 1966, de Damas les cendres de l'émir sont ramenées en grandes pompes sur sa terre natale en Algérie, au cimetière d'El-Alia, à Alger.

La statue équestre d'Abd-el-Kader a remplacé celle de Bugeaud au centre d'Alger.

Statue d'Abd-el-Kader à Alger

— Statue d'Abd-el-Kader à Alger —

Parmi ses œuvres :
L’étude de la dimension spirituelle de l’Emir en se basant sur ses écrits ferait mieux connaître sa philosophie. Il est l’auteur également et entre autres écrits de :
- "Dhikr el ‘âqil wa tanbih el ghafil" (Rappel au sage et mise en garde de l’inconscient)
- "Lettre aux Français" (Notes brèves à ceux qui comprennent pour attirer l’attention sur des problèmes essentiels)
- "Kitab el mawaqif fi waif wal irshad" (Livre des stations, du prêche et de la direction)
- "Diwan el Amir Abdelkader" (Recueil de poésies)
- "El miqrad el hadd li qat’e lissan mountaqidh din el Islam bil batel wal il'had" (Les tenailles acérés pour trancher la langue de celui qui porte atteinte à l'Islam par le mensonge et l’athéisme)
- "Tuhfet ezzair fi tarikh el djazair wal Emir" (Biographie écrite par son fils aîné Mohammed ; Elle contient de nombreux textes de l’Emir).
- "Al mawakef fi al-tasawif wal wa'd wal irchad" (Les positions en matière de soufisme, de sermon et d’orientation).
- "Moudhakirat al amir Abdelkader" (Mémoires de l’Emir Abdelkader).