Histoire d'Algérie / Page 1 :
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Ahmed Bey

— Ahmed Bey —

Ahmed Bey
hmed Bey, dernier bey de Constantine est l'une des grandes figures de la résistance au colonialisme. Ahmed Bey était un diplomate rusé et un soldat énergique. Il organisa la résistance contre l’occupation dans l’Est du pays et participa aux combats à la tête de ses troupes. Les correspondances écrites de sa propre main, dénotaient d’une haute culture politique et de grandes capacités de négociateur.

C'était un homme de principe, lorsque le maréchal de Rovigo, s’adressant à lui, affirma : « Nous préférons la paix à la guerre », Ahmed Bey eut cette réponse : « Nous également, nous préférons l’accalmie aux hostilités, à condition que notre religion et notre honneur ne soient pas bafoués ».

El Hadj Ahmed Bey démontra ses compétences militaires et politiques et même s’il croyait en l’allégeance spirituelle à la Sublime Porte, il n’envisagea nullement l’indépendance à son égard. Mais cela n’empêcha en rien sa loyauté envers son pays l’Algérie. Ni les conditions induites par la situation en Algérie après la conquête, ni les tentations, ni les propositions présentées par la France pour l’attirer n’entamèrent sa détermination. Il demeura fidèle même après la chute de Constantine puisqu’il préféra se déplacer entre le désert, les vallées et les oueds, incitant les tribus à la résistance jusqu’à ce que ses capacités physiques le trahissent et qu’il se rende le 5 juin 1848.

Constantine

— Constantine —

Enfance et formation
hmed Bey est né en 1786. Il est le fils de Mohamed Chérif qui a occupé le poste de lieutenant (khalifa) du bey Hassen et le petit-fils d’Ahmed El Qolli, ancien bey qui gouverna le beylik (province) de l’Est durant 16 ans.
Sa mère, El Hadja Chérifa, algérienne de souche, est issue de la famille Ben Ghana, l’un des plus importants chefs religieux arabes du Sahara. Ahmed Bey est kouroughli (terme qui désigne les enfants nés de parents algéro-turc)
Il naquit vers 1784 ? 1789 à Constantine et fut désigné du nom de sa mère, à savoir El Hadj Ahmed fils d'El Hadja Chérifa.

Il grandit orphelin de père, mort étranglé. Sa mère fut ainsi contrainte, dans des conditions difficiles, de s'enfuir avec lui de Constantine vers le Sahara, loin des complots, de crainte qu’il ne subisse le même sort que son père.
Auprès de ses oncles maternels dans les Zibans, Ahmed Bey bénéficia de toute la protection nécessaire et reçut une éducation complète.
Durant son enfance, il apprit le Coran et les règles de la grammaire arabe, ce qui lui conféra une certaine éloquence et consolida sa formation. En outre, il acquit les qualités de générosité, hospitalité, vertus distinctives des gens du Sahara.
Il apprit l'art équestre très jeune et s’entraîna aux arts de combat. Il devint ainsi un cavalier émérite et manifesta une habileté et un courage peu communs.

Son amour grandissant pour la sainte religion transparaît dans certains des écrits et poèmes qui lui furent attribués, notamment après qu’il ait accompli, à l’âge de douze ans, le pèlerinage à la Mecque. Dès lors, il se vit attribuer le titre de Hadj Ahmed. Son séjour en Egypte lui permit d’acquérir les connaissances et l’expérience qui modelèrent la plupart de ses positions.

Les premières responsabilités
n 1805, le bey Abd-Allah lui confia la fonction de caïd (guide ou chef) des tribus des Aouassi (terme servant à désigner les tribus habitant la région de Aïn Beïda et ses environs). Quant au titre de caïd, il correspond en fait à une fonction gouvernementale conférée seulement à ceux qui jouissent de la confiance des notabilités de la société et lui fut attribué parce qu’il bénéficiait du grade d’officier supérieur au Palais. Le bey Abd-Allah le chargea également d'administrer l'importante tribu des Haractas

Il fut chargé de la surveillance de la partie Est du territoire de Constantine, ce qui lui conférait le droit de diriger une troupe militaire composée de 300 cavaliers, assisté en cela de quatre adjoints désignés par le Bey, à savoir le chaouch (huissier), le khodja (secrétaire), le moukahlahji (le chargé de l'armement) et le serradj (chargé de la sellerie).
Après avoir quitté ce poste pendant une certaine période, il fut rappelé par Naâmane Bey qui le nomma une deuxième fois caïd des Aouassi compte tenu de son expérience.

Lors de son séjour en Egypte, Ahmed Bey rencontra Mohamed Ali, gouverneur d’Egypte et prit connaissance de ses réalisations, notamment dans le domaine militaire. Il fit là également la connaissance de ses enfants Ibrahim Pacha, Tossoun et Abbès.

En 1818, el Hadj Ahmed fut promu au poste de khalifa (lieutenant) sous l'autorité du bey Ahmed El Mamelouk et put conserver ce poste jusqu’à l’émergence du conflit qui l’opposa au bey Ibrahim, gouverneur du beylik de l’Est algérien entre 1820-1821, et lui valut d'être demis de ses fonctions.

Craignant les complots et l’assassinat, il quitta Constantine pour Alger d'autant que c’est Ibrahim qui avait monté un complot contre Ahmed Bey, l’accusant de manigance avec le bey de Tunis contre Alger. Toutefois, le Dey Hussein qui avait découvert la vérité, ordonna la mort d’Ibrahim Bey en 1821.

El Hadj Ahmed demeura à Alger puis fut éloigné à Miliana et de là, vers Blida où il vécut le séisme qui avait détruit la ville le 2 mars 1825, au cours duquel il joua un rôle important dans l’opération de sauvetage au point de susciter l’admiration de l’agha Yahia, commandant de l’armée, pour ses nobles qualités dont il fit part au Dey Hussein.

Bey de Qacentina
ur intervention de l’agha Yahia, il fut désigné par le Dey Hussein en tant que Bey à la tête du beylik de l’Est en 1826. Durant son mandat, Constantine connut une grande stabilité depuis son investiture jusqu’en 1837, date de la chute de la ville. Grâce à sa ferme détermination et à son intelligence politique, il sut résoudre d’innombrables problèmes internes.

Qacentina - Le Palais du Bey

— Qacentina - Le Palais du Bey —

El Hadj Ahmed Bey, après avoir constitué son makhzen, éliminé les indésirables des charges publiques, se mit à l'ouvrage. Il se mit à étudier l'état de la population, ses besoins, ses griefs, les causes des perturbations dont elle avait été tout récemment le théâtre, et les moyens d'en prévenir le retour. Plusieurs têtes des hommes les plus compromis tombèrent sous le glaive du bourreau. Turcs et autochtones, sans distinction, subirent le même châtiment. De plus, il régla pour toute la contrée l'impôt de l'Achour sur lequel on avait souvent buté jusque là.

Dès le début de l'année nouvelle, El Hadj Ahmed Bey monta une expédition contre Zin Ben Younes, principaux rebelles du Dir, à l'Est de Tébessa, qui, à cheval sur la frontière refusaient de reconnaître son autorité. Par trahison, il s'empara de leur chef Ben Younes, qui fut garrotté et envoyé à Alger pour être pendu. Il poursuivit ses opérations contre les Henencha qui avaient tué leur kaïd et se refusaient à payer les impôts. Après s'être emparé de nombreux troupeaux de bétail dans la région, il rentra en avril à Qacentina, laissant le soin à son khalife Ben Aïssa et à son lieutenant Bel Bedjaoui de poursuivre la campagne.

Ali Ben Aïssa

— Ali Ben Aïssa —

Il réussit à unifier les grandes tribus les plus puissantes du territoire Est, par le biais d’alliances matrimoniales. Il épousa la fille de Boumezrag, bey du Titteri ainsi que la fille de Hadj Abdesslam el Mokrani, de même qu’il encouragea fortement les alliances entre les chefs de tribus par le biais du mariage. Ce qui lui attira les Ouled Mokrane (Majana), les Ouled Azzedinne (Zwagha) et les Ouled Achour (Ferdjioua) etc…

Résistance contre l'invasion française
uite à l'incident diplomatique entre le dey Hussein et Deval l'ambassadeur de France, Ahmed Bey, conformément aux instructions du dey fit ses préparatifs pour faire face à une guerre éventuelle, car jusque là, personne ne croyait encore à un conflit armé majeur. Le bey fit le nécessaire pour constituer des contingents de cavalerie et des fantassins ; de stocker des vivres et des céréales, et demanda aux kaïds de la région de veiller aux approvisionnements des populations locales.

Dans les premiers jours de juin 1830, Ahmed, escorté de quatre cents cavaliers, vint à Alger pour accomplir le "denouch" (visite obligatoire des beys, effectuée tous les trois ans) et verser au dey le tribut annuel (lezma) du beylick. Parmi les chefs qui l'accompagnaient, se trouvaient Ould Moqran, Ben Hamlaoui agha, le cheikh des Righa, le caïd Smala, El Ardi Qaïd Ben Achour, cheikh Bou Chenan.

Ahmed Bey arriva au moment même où la flotte française se présentait devant Sidi-Ferruch. Il participa avec ses troupes à la défense de la ville et prit part aux combats de Staoueli, et de Sidi-Khalef. Le lendemain de l'abdication du dey, refusant de répondre aux dépêches du général de Bourmont qui l'engageait à demander l'aman, il regagna Constantine et prépara la défense.

Il livra et remporta sa première bataille à Constantine, en 1836, contre les troupes commandées par le maréchal Clauzel. L'expédition française contre Constantine se préparait depuis longtemps, mais avec une désinvolture pour le moins surprenante.

Le général Monck d'Uzer, qui tenait Annaba, déclarait qu'avec une armée de quatre bataillons d'infanterie et deux ou trois mille cavaliers l'expédition contre Constantine « serait une promenade militaire de trois jours. » Quant au maréchal Clauzel, il avait invité des personnalités de marque pour assister à son « entrée triomphale » dans la ville. Il écrivait à cette période : "Je ne suis pas inquiet du résultat. » Bien plus, il fit imprimer à Annaba une note, non datée, qui contenait le texte suivant : « Soldats ! Nous entrons aujourd'hui à Constantine. »

Premier siège de Constantine - La déroute de l'armée française
e 21 novembre 1836, un corps de 8.700 hommes arrive devant Constantine. Face aux Français, les Algériens réunissaient environ 1.200 hommes. Ahmed Bey avait organisé ses forces de la façon suivante : une partie, commandée par Ben Aïssa Fergani et Mohamed Ben Bedjaoui, prit en charge la défense de la ville ; la seconde, qu'il commandait lui-même, se porta au-devant de l'ennemi.

Bataille de Constantine - 1836 (Hocine Ziani)

— Constantine - Les Algériens mettent en échec les troupes françaises —

L'armée française entreprit deux assauts par le pont, mais ils se brisèrent devant la porte d'El Kantara. Puis c'est la débandade, battant en retraite, poursuivis par les Algériens, les soldats français abandonnèrent sur le terrain armes, bagages et blessés. Selon les sources françaises, l'armée enregistrera des pertes parmi les plus importantes, soit environ 3.700 hommes.

Ce repli catastrophique eut lieu le 23 novembre 1836. La "promenade militaire" avait effectivement duré trois jours...

Retraite de l'armée française au siège de Constantine - 1836 (par Raffet)

— Retraite de l'armée française commandée par le maréchal Clauzel - 1836 —

Deuxième siège de Constantine - Prise de Constantine
n 1837, l'état-major français décida de mener une seconde expédition, qui fut confiée au général comte de Damrémont. Celui-ci disposait de 20.400 hommes, dont 16.000 combattants, d'une artillerie importante commandée par le général Valée et d'un corps de génie comprenant des officiers d’élite.

Le 5 octobre, cette armée arriva à Constantine. Dès la première confrontation, les généraux Damrémont et Perrégaux sont tués. Le général Damrémont est remplacé par le général Valée. Le siège fut terrible, mais devant la supériorité en hommes et en matériel de l'armée française, les défenses de la ville commencèrent à fléchir. La puissance de feu de l'artillerie française causa des dégâts considérables dans les fortifications de Constantine, et, le 13 octobre 1837, trois colonnes de fantassins entrèrent dans la ville par les brèches pratiquées dans les remparts. Mais il fallut à l'armée française prendre rue par rue, maison par maison tant la détermination des Constantinois était grande. Constantine finit par tomber entre les mains de l'ennemi, qui subit pourtant de lourdes pertes. La ville subira pillage et atrocités pendant les jours qui suivront sa chute.

Contrairement aux évaluations des pertes par le général Valée, dont les chiffres étaient très inférieurs à la réalité, Bresson écrivait d'Alger, le 28 octobre 1837, une lettre confidentielle adressée au Ministre de la Guerre. Bresson confiait que : « [...] nos vivres ont suffi juste jusqu'au 13 ; nos munitions étaient épuisées au moment de l'assaut ; si l'attaque, ébranlée un moment par l'explosion d'une mine, n'avait pas réussi, si l'ennemi avait ramené nos troupes sur nos batteries éteintes, ce qui a failli arriver, l'armée était perdue ; pas un soldat ne serait peut-être rentré à Bône ». (Arch. Nat. – F80 1672). Le sort de cette bataille a tenu donc à peu de choses, et il s'en est fallu de peu pour qu'Ahmed Bey ne mette en échec, une fois encore, l'armée de l'envahisseur.

Hadj Ahmed Bey n'abandonna pas pour autant la lutte, et, ayant réussi à sortir de la ville avec quelques cavaliers, il se rallia des tribus de la région et se dirigea vers les Aurès en passant par Biskra. Il incita les populations de la région à organiser la résistance pour paralyser les mouvements de l'envahisseur.

Le Bey est isolé
ais, de plus en plus isolé et affaibli, Ahmed Bey finit par se rendre le 5 juin 1848. Il sera conduit à Constantine où la population lui manifesta beaucoup de sympathie, en lui faisant un accueil chaleureux et lui remit des présents. Il y resta trois jours, puis il passa deux jours à Skikda, en attendant d'être embarqué à bord d'un bateau à vapeur qui le conduisit à Alger, où il sera placé en résidence surveillée.

Dans un article de la Revue Africaine – n° 93 de 1949, Marcel Emerit, nous révèle les mémoires d’Ahmed Bey recueillies par le capitaine Rouzé. Cet officier des Bureaux Arabes avait été chargé de surveiller Ahmed après son internement à Alger, et de recueillir ses déclarations. Pourquoi ce texte, qui semblait destiné à la publication, est-il resté enfoui dans un carton, sans même figurer au catalogue des archives ? Marcel Emerit pense que certaines révélations du bey sur les généraux français ont inquiété l’autorité militaire qui a caché le document. Par exemple, le bey apporte des renseignements sur le général Youssouf (Yusuf) ; informations qui seront confirmées par un de ses anciens compagnons.

On se rappelle la légende que s’est fabriquée Youssouf. Il se disait originaire de l’île d’Elbe, insinuant qu’il pourrait bien être le fils illégitime de Napoléon Ier, pas moins !  Youssouf racontait à qui voulait le croire qu’il aurait été enlevé par des corsaires barbaresques, puis emmené et élevé à la cour du bey de Tunis, …etc. En tout, une histoire abracadabrante, digne des « Contes des mille et une nuits », et on se demande même comment on a pu le croire.
Or, tout cela était faux bien entendu, car Sélim, un ancien compagnon de Youssouf, rapporte que ce dernier était un juif renégat, originaire d’Italie. Ils étaient tous deux mamelouks au service d’un personnage qui n’avait rien de princier, et s’étaient enfuis de Tunis à la suite d’un acte malhonnête envers leur maître. Rien de bien reluisant donc. Quand par la suite les circonstances et le pouvoir le lui permettent, Youssouf fera preuve de duplicité et de brutalités. Il se conduira de la façon la plus abjecte envers la population algérienne. Les brutalités et les fantaisies de Youssouf seront attestées par le capitaine Delcambe dans une « Note confidentielle au colonel Foy » (Arch. Nat. – F80 1672) de février 1837.

Dans ses mémoires, Ahmed bey nous éclaire sur les pourparlers qui ont été tentés et nous apprend que certaines de ses lettres ont été interceptées et détruites.
Le bey a été présenté par ses adversaires français ou leurs alliés, tel Salah El Antri, comme un tyran cupide et sanguinaire. Il faut savoir que Salah El Antri accusait le bey d’avoir fait périr son père. Pourtant à la fin de son récit, il finit par reconnaître qu’Ahmed Bey avait été un homme juste et bon, et que sous son règne « la tyrannie fut supprimée, les mauvais sujets disparurent », et qu’il avait mis fin aux excès des Turcs en organisant une armée de zouaves.
Emerit décrit Ahmed Bey comme un homme pondéré, pacifique, respectueux, généreux autant qu’il est possible avec ses ennemis. Ahmed Bey, s’il avait été un tyran détesté, n’aurait pas pu lutter pendant 18 ans contre les envahisseurs français. Et n’oublions pas que, lorsque, après sa reddition, il fut interné quelques jours à Constantine dans l’attente d’un convoi pour Alger, toute la population se cotisa pour le pourvoir de vêtements et de vivres. L’autorité militaire, après avoir traduit devant le conseil de guerre les hommes qui avaient eu pitié du bey déchu, fut obligée de reconnaître que leur geste était dicté par la charité à l’égard d’un prince malheureux qui avait laissé de bons souvenirs dans Constantine.

Ahmed Bey demeura en résidence surveillée à Alger, jusqu'à sa mort en 1850. D'après la plupart des récits à Alger, il serait mort empoisonné.

Il est enterré dans le mausolée de Sidi Abd-el-Rahmane At-Thaâlibi à Alger.