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Biographie de l'émir Abd-el-Kader - Page 5 -
– Citations –
Citations de l'émir Abd-el-Qader
n peut mesurer, la grandeur d'âme de l'émir Abd-el-Qader à travers ses paroles et ses écrits. Nul doute que ce grand guerrier était un mystique dont l'évolution spirituelle en faisait un des grands savants de l'Islam.
Sur la nature de l'homme
"Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure."
Abd El-Kader, 1860, dans L'émir Abd El-Kader, 1808-1883, paru chez Hachette, 1925, p.5, Paul Azan
Sur le pouvoir de la presse
"J'ai vu hier la maison des canons avec lesquels on renverse les remparts (Musée d'artillerie) ; je vois aujourd'hui la machine (l'imprimerie) avec laquelle on renverse les rois. Ce qui en sort ressemble à la goutte d'eau venue du ciel : si elle tombe dans le coquillage entrouvert, elle produit la perle ; si elle tombe dans la bouche de la vipère, elle produit le venin." (Propos d’Abdelkader quand il visita l’imprimerie à Paris).
Abd El-Kader, 1852, dans Abd El-Kader sa vie politique et militaire, paru chez Hachette, 1863, p.400, Alexandre Bellemare.
Sur le matérialisme
"Plutôt que d´interroger, nous nous interrogeons sur l´avenir de l´homme en général et de l´Occident en particulier puisque c´est lui qui dominera le monde matériel. Cet Occident est malade de son intelligence. Il a beau être savant, il n´arrive pas à saisir une vérité essentielle tant il est vrai qu´il est assoiffé de conquête et de pouvoir, aveuglé par l´illusion de sa puissance, prônant l´argent pour Dieu.... [...]"
L´Emir Abd El Kader dans "Kitâb al mawâkif.
Sur la tolérance
Pour qui le veut, le Coran,
Pour qui le veut, la Torah,
Pour tel autre, l´Evangile,
Pour qui le veut mosquée où prier son seigneur,
Pour qui le veut, synagogue,
Pour qui le veut cloche ou crucifix,
Pour qui le veut, Kaâba dont on baise pieusement la pierre.
Je suis Dieu, je suis créature
Je suis Seigneur, je suis serviteur,
Je suis le Trône et la natte qu´on piétine,
Je suis l´enfer et je suis l´éternité bienheureuse,
Je suis l´eau, je suis le feu,
Je suis l´air et la terre,
Je suis le "combien" et le "comment",
Je suis la présence et l´absence,
Je suis l´essence et l´attribut,
Je suis la proximité et l´éloignement,
Tout être est mon être,
Je suis le Seul, je suis l´Unique ".
L'émir Abd-el-Qader dans les citaions
a littérature coloniale française s’est gardée de vanter la personnalité de l’Emir Abdelkader, et a évité tout ce qui pouvait démentir que l’Emir Abdelkader n’avait aucun point commun avec ce personnage qu’on lui prêtait, c’est-à-dire un féodal ou un fanatique religieux, haineux des autres races, des autres cultes et des autres communautés.
Et
il faudra attendre sa libération en 1852, et surtout ses courageuses prises de position en 1860 à Damas pour protéger la communauté chrétienne, pour que le monde entier découvre ses qualités hors du commun et ses valeurs d’homme universel.
Faute d’archives authentiques (celles de l’Emir Abdelkader ayant été pillées et détruites par les Français lors de la prise de la Smalah), nous ne découvrirons jamais assez la personnalité de l’Emir Abdelkader, un homme dont la grandeur n’a d’égale que son humilité. C'est donc au travers des citations que nous essayerons de cerner la personnalité de ce grand homme.
Maréchal Saint-Arnaud dans "Lettres du Maréchal Saint-Arnaud"
éd. Michel Lévy frères, 1855, t. 1, 14 mai 1842, p. 386
"Abd-el-Kader nous a renvoyé sans condition, sans échange, tous nos prisonniers. Il leur a dit : "Je n’ai plus de quoi vous nourrir, je ne veux pas vous tuer, je vous renvoie". Le trait est beau pour un barbare."
Le colonel de Géry, reconnaissant la magnanimité d'Abd-el-Kader, confie à Mgr Dupuch, évêque d'Alger :
"Nous sommes obligés de cacher, autant que nous le pouvons, ces choses à nos soldats car s'ils le soupçonnaient, jamais ils ne combattraient avec autant d'acharnement".
"Nouvelle biographie générale", sous la direction de Ferdinand Hoefer
éd. Firmin Didot, 1852, t. 1, Abd-el-Kader, p. 67
"Jugé au point de vue historique, en dehors de tous les préjugés de notre civilisation, c'est un des hommes les plus extraordinaires de notre époque. Jugurtha moderne, il a, pendant quatorze ans, tenu en échec les forces d'une des plus puissantes nations de la terre."
Maréchal Soult, 1843, dans "Abd-el-Kader sa vie politique et militaire"
paru chez Hachette, 1863, p.4, Alexandre Bellemare.
"II n'y a présentement, dans le monde, que trois hommes auxquels on puisse accorder légitimement la qualification de grands, et tous trois appartiennent à l'Islam ; ce sont Abd-el-Kader, Méhémet-Ali et Chamyl."
Maréchal Bugeaud, 1837, lettre au comte Molé, dans "L'honneur de Saint-Arnaud"
paru chez Plon, 1993, p.92, François Maspero.
"Il ressemble assez au portrait qu’on a souvent donné de Jésus-Christ."
Maréchal Bugeaud, 25 mai 1837, dans "La vie d'Abd-El-Kader" (1867)
paru chez Sned, 1974, préface de M.Habart, p.36, Charles-Henry Churchill.
"Je considère que c'est un bonheur d'avoir un homme comme lui pour conduire les Arabes ; lui seul est capable de les diriger dans la voie de la civilisation et du commerce."
Maréchal Bugeaud, 23 mars 1843, dans "La vie d'Abd-El-Kader" (1867)
paru chez Sned, 1974, préface de M.Habart, p.36, Charles-Henry Churchill.
"Assurément un homme très remarquable que l’histoire doit placer à côté de Jugurtha."
Maréchal Bugeaud, 1er janvier 1846, dans "La vie d'Abd-El-Kader" (1867)
paru chez Sned, 1974, préface de M.Habart, p.36, Charles-Henry Churchill.
"C'est un ennemi actif, intelligent et rapide, qui exerce sur les populations arabes le prestige que lui ont donné son génie et la grandeur de la cause qu'il défend. C'est plus, beaucoup plus qu'un prétendant ordinaire ; c'est une espèce de prophète, c'est l'espérance de tous les musulmans fervents."
Maréchal Bugeaud, 17 juin 1848, dans "La vie d'Abd-El-Kader" (1867)
paru chez Sned, 1974, préface de M.Habart, p.36, Charles-Henry Churchill.
"Certainement l'une des grandes figures historiques de notre époque."
Horace de Viel-Castel, 1860, dans "La vie d'Abd-El-Kader" (1867)
paru chez Sned, 1974, préface de M.Habart, p.11, Charles-Henry Churchill.
"Le général [Eugène] Daumas regarde cet Arabe comme un homme supérieur, auquel l'histoire assignera une grande place."
Alexis de Tocqueville dans "Travail sur l'Algérie" (1841), dans "Alexis de Tocqueville, De la colonie en Algérie", éd. Complexe, 1988, p. 67
"Un esprit de l’espèce la plus rare et la plus dangereuse, mélange d’un enthousiasme sincère et d’un enthousiasme feint, espèce de Cromwell musulman."
François Guizot dans "Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps" (1865)
éd. Michel Lévy frères, 1865, L'Algérie et le Maroc (1841-1847), p. 154
"Jugurtha n'était [...] ni plus habile, ni plus hardi, ni plus persévérant que cet homme-là, et s'il y a de notre temps un Salluste, l'histoire d'Abd-el-Kader mérite qu'il la raconte."
Général Paul Azan dans "L'Emir Abd el-Kader"
éd. Hachette, 1925, préface, p. VIII
"S'il y avait en Algérie un héritier d'Abd-el-Kader dépositaire de sa pensée, fidèle à sa tradition et possédant son envergure, il ferait profiter la race indigène de l'expérience laborieusement acquise par son dernier Sultan ; il l'entraînerait dans la voie du progrès."
Louis Veuillot dans "Les Français en Algérie : souvenirs d'un voyage fait en 1841" (1847)
éd. Ad. Mame, 1857, XXI Abd-El-Kader, p. 266
"Un homme résume en lui toutes les forces que l'Algérie nous oppose ; il centuple les difficultés du sol et du climat, l'énergie des individus, la force agonisante du fanatisme religieux ; s'élève enfin tellement au-dessus de ses compatriotes, que nous ne pourrons rien tant que ce seul homme ne sera pas abattu, et que, lui abattu et les autres soumis, nous ne serons sûrs de rien, s'il n'est mort. Cet homme est Abd-el-Kader.[...]
On dit que la France [...] l'a créé. Sans doute, tout envahisseur crée, dans le pays qu'il veut conquérir, un homme en qui se personnifie, pour ainsi dire, le sol envahi. Mais on ne crée de cette façon que ce qui est déjà susceptible d'être, et d'être très grand : Abd-el-Kader ne nous a laissé qu'une faible part dans l'œuvre de sa grandeur."
Général Duvivier, 1842, "Quatorze observations, dans Le magasin pittoresque"
paru Bureaux d'Abonnement, 1848, p.25, Édouard Charton.
"C'est la volonté des siens qui lui a donné argent, armes, chevaux, soldats, comme elle lui donna le pouvoir absolu bien avant cette paix (de la Tafna). Français, je désire sa chute, puisque la lutte s'est renouvelée ; ma conduite mililaire répond de ma parole.
Mais Abd-el-Kader est l'homme de l'histoire ; elle ne saura plus l'oublier : elle redira son nom ; elle le peindra sans canons, sans arsenaux, sans trésor, usant pendant de longues années des armées immenses, braves, bien munies, incessamment renouvelées ; et lorsque ce nom lui rappellera les chefs qui tentent aujourd'hui la gloire en s'acharnant à sa perte, peut-être inscrira-t-elle en regard ce jugement de Napoléon : « Si la gloire de César n'était fondée que sur la guerre des Gaules, elle serait problématique. Que peut la bravoure privée de la science militaire contre une armée de ligne disciplinée et constituée comme l'armée romaine ? » Elle absoudra Abd-el-Kader de ses exécutions rigoureuses : les peuples combattant pour leur liberté n'ont-ils pas toujours voué leurs déserteurs à la mort — Pauvre enfant du désert ! N'ayant pour richesse que ton Koran, ton chapelet et ton cheval, pour armes que ton génie et ta parole, tu tomberas peut-être comme le haut palmier sous l'effort du simounn ; mais les générations futures exalteront ton nom ! Malheur au cœur qui ne saurait bénir les martyrs de la liberté ! Oh ! que Byron n'est-il encore de ce monde ! Sa harpe vigoureuse eût vibré par les échos de ton nom, et tu pourrais mourir consolé comme les héros de Fingal ; car tu eusses entendu ta gloire éternisée dans les chants du barde. Tombe, si la Providence l'a prescrit dans son impénétrable sagesse, mais ne désespère point du souvenir éternel ; la Providence ne défend point de te plaindre."
Morning Herald, 1852, dans "Napoléon III et Abd-el-Kader"
paru chez P.Martinon, 1853, p.379, Eugene Civry.
"Tout ce que nous lisons sur la conduite d'Abd-el-Kader à Paris a véritablement un attrait qui plaît et qui charme. Il y a dans la conduite de cet homme une grâce, une dignité, une piété, qui portent jusqu'à l'admiration la sympathie que l'infortuné captif a jusqu'ici inspirée au monde.
Est-ce à cause du profond sentiment de bonheur qu'il éprouve de se voir délivré d'une captivité trop longtemps prolongée qu'il s'est dépouillé de cette stoïque réserve et de cette orgueilleuse impassibilité de l'Arabe en présence des merveilles de la civilisation chrétienne, ou bien notre propre manière de voir nous a-t-elle trompés ? Toujours est-il certain que l'Émir montre une expansion de surprise, une disposition à s'ouvrir aux impressions agréables, qui forment un contraste frappant avec l'attitude des chefs de sa race qui jusqu'à présent ont figuré dans la capitale de leurs vainqueurs."
Morning Post, 1852, dans "Napoléon III et Abd-el-Kader"
paru chez P.Martinon, 1853, p.380, Eugene Civry
"La politique s'est tue devant l'intérêt immense qu'excite la présence d'Abd-el-Kader à Paris. On sait qu'il va ce soir à l'Opéra, et les places se vendent à des prix fabuleux.
La libération de ce noble et vaillant homme a mis dans tous les cœurs une joie immense, mais dans aucun cette joie n'a été plus profonde que chez Louis-Napoléon, qui a toujours, pensé que l'honneur de la France tenait à la situation d'Abd-el-Kader. Un de mes amis, qui a été ministre de Louis-Napoléon, immédiatement après son élection de 1848, me racontait que dans un des premiers conseils tenus à l'Elysée, Louis-Napoléon amena la discussion sur la libération de l'illustre chef arabe.
Il est notoire aujourd'hui que, si Abd-el-Kader n'a pas plus tôt été rendu à la liberté, c'est qu'il y avait entre le prince et lui le contrôle de l'Assemblée et du ministère, mais que, du jour où Louis-Napoléon a reconquis sa volonté toute puissante et incontestée, il s'est empressé de prendre toutes les mesures pour rouvrir à l'Émir les portes de la captivité."
Charles-Henry Churchill (La vie d’Abdelkader Londres, 1867, traduction, introduction et notes de Michel Habart. Enal 1991.)
"Les œuvres de Platon, Pythagore, Aristote, les traités des plus fameux auteurs de l’ère des califes, sur l’histoire ancienne et moderne, la philosophie, la philologie, l’astronomie, la géographie, et même des ouvrages de médecine, étaient parcourus avec ferveur par l’étudiant enthousiaste. Sa bibliothèque se développait sans cesse. Les plus grands esprits l’entouraient.
Il n’aurait pas changé l’intimité qu’il entretenait avec eux contre tous les trônes de l’univers."
M. Poujouat (Voyages en Algérie - Parallèle de Jugurtha et d’Abdelkader - Paris 1847, cité par Kaddour M’hamsadji, La jeunesse de l’Emir Abdelkader, OPU.2004, p. 2)
"Comment, devons-nous nous demander, comment depuis 17 ans, la vie de tout un peuple s’était-elle concentrée dans un seul homme ?... C’est sans doute que cet homme était la plus haute et la plus énergique expression de son peuple, l’incarnation vivante de ses instincts moraux et religieux ; c’est que toujours vaincu par nos armes, toujours debout. Abdelkader était puissant comme une croyance, mystérieux comme le destin.
Tout sentiment qui a Dieu pour mesure et pour but, prend dans son énergie quelque chose d’impérissable."
Adolph Vilhelm Dinesen
Abdelkader et les relations entre les Français et les Arabes en Afrique du Nord (édition originale publiée en danois en 1840. Coédition, Fondation Emir Abdelkader - Anep-2001). "Dès sa plus tendre enfance, il connaissait déjà toutes les langues du Coran, et ses commentaires dépassaient ceux des plus habiles interprètes. Il apprit avec enthousiasme la rhétorique et l’histoire. Il est aujourd’hui considéré comme le meilleur orateur de tout le pays, ce qui lui donne un avantage considérable.
Il apprit le détail de l’histoire de son pays, y compris les points où elle touchait celle de la nation française. Il ne négligea pas non plus les qualités physiques, qu’il acquit avec grand talent, on le tient généralement comme le plus grand cavalier de la Berbérie. Bref, à l’âge de 20 ans, il avait toutes les qualités que le peuple aime voir chez ceux qu’il place à sa tête." (p. 29). "Abdelkader est un home de mœurs très pures et très strictes.
Sans être fanatique, il est habité par une solide foi religieuse. Il n’hésite pas à discuter de sujets religieux avec les chrétiens, ce qu’il fait sans animosité et avec courtoisie. Il tient toujours parole, mais pendant les négociations, il s’avère un diplomate fin et rusé. Rien n’est plus étranger à son caractère que la cruauté. Il s’emporte rarement, et sait toujours contrôler son humeur. L’humanité et la justice, profondément ancrées dans le respect scrupuleux de la loi, sont les deux fondements de son règne." (p. 82)
"Cet homme doué de tant d’esprit ne néglige pas les services corporels. Il manie ses armes et monte à cheval de bataille à la perfection. Ses mouvements sont libres et légers. Les nombreuses activités qu’il a exercées et un profond sentiment religieux font qu’il reste, en toutes circonstances, simple et naturel." (p. 137). " Abdelkader fit destituer son frère Sidi Mustapha de son poste de khalifa de Médéa en raison de la légèreté de ses mœurs et nomma El Berkani à sa place.
C’est là une preuve que l’Emir, quand il s’agissait d’imposer l’ordre et la justice ne favorisait nullement ses proches." (p. 145)
Alexis de Tocqueville
"Le gouvernement d’Abdelkader est déjà plus centralisé, plus agile et plus fort que ne l’a jamais été celui des Turcs. Il réunit avec moins de peine un plus grand nombre d’hommes et plus d’argent. (...) Abdelkader a conservé de l’Arabe tout ce qu’il fallait pour exalter ses compatriotes, il nous a pris tout ce qu’il fallait pour les soumettre." (Tocqueville sur l’Algérie - Flammarion - 2003, 279 p) texte rédigé en 1841).
"Il ne faut donc pas se fier sur le passé et croire que cette puissance (celle d’Abdelkader), après avoir brillé un moment, s’éteindra comme tant d’autres. Ils est au contraire fort à craindre qu’Abdelkader ne soit en train de fonder chez les Arabes qui nous entourent un pouvoir plus centralisé, plus agile, plus fort, plus expérimenté et plus régulier que tous ceux qui se sont succédé depuis des siècles dans cette partie du monde. Il faut donc s’efforcer de ne pas lui laisser achever ce redoutable travail." (p. 108).
Le capitaine Saint-Hypolite
Elle révèle l’honnêteté intellectuelle de son auteur le capitaine Saint-Hypolite qui venait de rendre visite à l’Emir Abdelkader à Mascara. Très impressionné par le jeune chef de la résistance algérienne, l’officier français livre ses sentiments sans réserve dans une correspondance qu’il adresse au gouverneur général Droue d’Erlon à partir de Mascara le 14 janvier 1835. En voici un extrait :
"
L’Emir est un homme remarquable. Il est dans une situation morale qui est inconnue de l’Europe civilisée. C’est un être détaché des choses de ce monde qui se croit inspiré et auquel son Dieu a donné mission de protéger ses coreligionnaires (...) son ambition n’est pas de conquérir ; là n’est pas le mobile de ses actions ; l’intérêt personnel ne le guide pas ; l’amour des richesses lui est inconnu ; il n’est attaché à la terre qu’en ce qui tient à l’exécution des volontés du Tout-Puissant, dont il n’est que l’instrument".
Alexandre Bellemare (Abdelkader sa vie politique et militaire, Ed. Bouchène).
"J’ai vu hier, dit-il, la maison des canons avec lesquels on renverse les remparts (Musée d’artillerie), je vois aujourd’hui la machine avec laquelle on renverse les rois. Ce qui en sort ressemble à la goutte d’eau venue du ciel : si elle tombe dans le coquillage entrouvert, elle produit la perle ; si elle tombe dans la bouche de la vipère, elle produit le venin." (Propos d’Abdelkader quand il visita l’imprimerie à Paris).
"De telles pensées exprimées par de telles paroles peuvent donner une idée de l’homme que nous cherchons à faire connaître, mais pour bien le juger, il eut fallu le voir en présence de tous les personnages qui, chaque matin, pendant quinze jours, sont venus saluer l’ancien prisonnier d’Amboise. Parlant de guerre avec les généraux qui l’avaient combattu ; de science avec les savants ; avec les hommes d’Etat, de ce qu’il avait fait comme organisateur, il trouva pour chacun d’eux un mot agréable, une réponse parfaitement adaptée à sa situation et à celle de son interlocuteur.
Et, puisqu’il nous a été donné de servir d’intermédiaire à un certain nombre de ces conversations, qu’il nous soit permis d’en appeler au témoignage des 300 visiteurs qui ont été reçus par l’Emir, et de les prendre à témoin qu’à pas un d’entre eux il n’a fait une réponse que l’on pourrait qualifier d’insignifiante. Cette série de perpétuels à-propos se prolongeant pendant quinze jours, s’adressant à des personnes, dont on ne pouvait lui expliquer la position qu’en quelques mots très courts, constitue l’un des côtés les plus extraordinaires sous lesquels nous soit apparu cet homme déjà si extraordinaire à tant de titres (1)."
(1) Une dame demandait à Abdelkader l’autorisation de venir le revoir lorsqu’au 2 décembre suivant il ferait un second voyage à Paris : "Ce n’est pas vous qui me le demandez, répondit l’Emir, c’est moi qui vous le demande." (Alexandre Bellemare, Abdelkader sa vie politique et militaire, Ed. Bouchène, p. 209).
M. et E. Gouvion (Kitab Aâyane El Maghriba)
Au début du XXe siècle, un certain Edmond Gouvion et son épouse Marthe s’en allèrent sillonner tout le pays faisant escale chez "l’aristocratie" algérienne et autres zaouïas (institutions religieuses fondées par des confréries du même nom) pour dresser une biographie exhaustive des auxiliaires du colonialisme français, et nous informer de leur généalogie et de l’origine de leurs ancêtres. Les époux Gouvion s’étaient livrés à un véritable travail de fourmi pour rendre hommage aux "indigènes de service".
Fils des "grandes tentes" dont les portraits et ceux de leurs aïeux garnissent le volumineux ouvrage Kitab Aâyane El Maghariba (livre des notables maghrébins). Au fil de leurs instructives pérégrinations les Gouvion ont appris bien des choses sur le prestigieux combat de l’Emir Abdelkader. Des éléments qui ont permis à cet auteur de reconnaître au fils de la Gueitna d’immenses qualités intellectuelles, spirituelles et guerrières. Partisan de défenseur de la colonisation, E. Gouvion, comme les anciens adversaires en armes de l’Emir Abdelkader, était bel et bien obligé de vanter les qualités exceptionnelles du captif d’Amboise.
M. et E. Gouvion furent très impressionnés par les lettres et le savoir de l’Emir Abdelkader dont-ils écrivent :"L’austérité des mœurs d’Abdelkader n’avait d’égale que sa bravoure ; de plus studieux et méditatif, il sut, jusqu’au milieu de l’agitation des camps et des périls de toutes les heures, donner à son esprit cette culture et ce recueillement qui élèvent au-dessus des préoccupations du jour et fortifient pour les assauts du lendemain."
"C’est ainsi que sa bibliothèque le suivait partout, aussi était-il profondément instruit et initié aux secrets les plus élevés du monde intellectuel. Orateur, diplomate, homme d’Etat et législateur, il menait tout de front avec la guerre et bien souvent il n’eut pas besoin de soldats pour remporter des victoires." (M. et E. Gouvion- Kitab Aâyane El Maghriba, 1920, p. 50).
Sans être de fervents admirateurs de l’auteur des Mawakif, Gouvion et son épouse ont eu du moins, contrairement à certains autres auteurs, cette intégrité intellectuelle de dire des vérités que leur imposa la forte personnalité de l’Emir Abdelkader.
Les biographes des "Grandes tentes". "Sans autre ressource que son génie, son patrimoine et sa foi, il (Abdelkader) s’élança à vingt-cinq ans sur les champs de bataille et pendant quinze ans il resta debout luttant à l’admiration du monde entier contre les victorieux efforts de la civilisation et de la France. Donc l’Emir sut joindre les qualités physiques les plus merveilleuses aux qualités morales les plus rares. Dès son enfance, il brillait dans tous les exercices du corps et ce n’est pas là un mérite inutile chez l’homme qui doit commander à une nation guerrière."
"La selle était son trône, aussi El Hadj Abdelkader à cheval fut-il sans égal parmi les Arabes qui eux-mêmes sont d’excellents cavaliers. La longueur et la rapidité de ses courses dépassent les rêves de l’imagination : ce n’est pas une seule fois qu’on l’a vu faire soixante lieues dans la nuit ou resté le glaive à la main soixante-douze heures sans mettre pied à terre. Les fatigues et les privatisations n’avaient aucune prise sur lui ; souvent une poignée de blé grillé ou de figues était son unique nourriture pendant de longues journées, au milieu des courses sans repos et de combat sans trêve." (pp. 47- 49).
Voilà des aveux qui nous affranchissent sur un homme qui appela - vainement - ses adversaires à renoncer à l’invasion et à faire taire les armes pour laisser place aux échanges pacifiques qui élèvent les peuples au rang de la civilisation.
Pelissier de Reynaud
Toutefois, parmi les écrits légués par les agents de la colonisation, nous découvrons néanmoins les intéressants travaux de l’historiographe Etienne Pelissier de Reynaud (à ne pas confondre avec Pelissier, auteur des enfumades du Dahra, massacreur des Oueld Riah) qui avait rempli les fonctions d’officier d’état-major et de directeur des affaires arabes dès les premières années de l’invasion française en Algérie. Il écrira abondamment.
Son nom figure dans presque toutes les bibliothèques de chercheurs de différentes nationalités. Les travaux les plus cités de ce chroniqueur - témoin et acteur des événements - furent édités en 1854 en trois tomes sous le titre Annales algériennes. Etienne Pelissier de Reynaud relate dans ses chroniques avec une foule de détails une série de péripéties sur la conquête française. Cet officier de l’état-major de l’armée d’invasion fut lui aussi impressionné par le jeune chef de la résistance algérienne : Abdelkader Ben Mohieddine.
Il lui reconnaît le " sang-froid et la bravoure" en soulignant : "Les Arabes se laissent encore à cette époque (1832), facilement intimider par le feu de l’artillerie. Pour les y habituer et leur apprendre à le mépriser, Abdelkader lança plusieurs fois son cheval contre les boulets et les obus qu’il voyait ricocher, et il saluait de cette plaisanterie ceux qu’il entendait siffler à ses oreilles." (Annales algériennes, p 266).
L’adversaire est le contemporain de l’Emir Abdelkader, reconnaît également que le vainqueur de la bataille du Mactaâ était "doué d’une grande éloquence et d’une puissance d’attraction à laquelle il était difficile de résister. Il n’eut qu’à paraître sur la scène pour donner les volontés et subjuguer les cœurs. Abdelkader quelle que doive être sa fin, a acquis une gloire impérissable". (Annales algériennes - p. 265).
Ce ne sont pas là des " aveux" exprimés par sympathie à l’Emir Abdelkader, mais des vérités si puissantes et si évidentes qu’il était difficile pour les adversaires d’Abdelkader de les passer sous silence. Si nous glorifions l’Emir Abdelkader, ce n’est pas parce que nous partageons avec lui la même patrie, mais c’est beaucoup plus pour souligner que son étoile brilla certainement avec beaucoup plus d’éclats pendant le XIXe siècle que pendant le siècle suivant.