Histoire d'Algérie / Page 1 :
Index historique
Haut de page Page précédente Page suivante Corsaires / Page 2
Captifs et esclaves

Corsaires barbaresques - Bataille navale (Mohamed Racim)

— Corsaires barbaresques - Bataille navale —

– Les Corsaires des Régences barbaresques - Page 1 –
- La course en Méditerranée du XVIe au XIXe siècle -

Corsaires, pirates, forbans, flibustiers, boucaniers
a piraterie est vieille comme le monde et existe encore, tandis que les corsaires ont sévi durant trois siècles (essentiellement du XVIe au XIXe siècle). Après la guerre de Crimée, la guerre de course a été abolie en 1856 par les pays signataires du Traité de Paris. C’est une activité qui reste légale pour les Etats-Unis, puisque les USA n'en sont pas signataires. Faisons la différence entre les différentes appellations, pirates, corsaires, etc.

Corsaires
Le mot "corsaire" a été emprunté de l'italien "corsaro" lui même dérivé du latin "cursus", (course). Corsaire est aussi un mot emprunté à l'arabe "qorsan" qui, par défaut de prononciation, est devenu corsaire (cette variante francisée est attestée du XVe siècle au début du XVIIe siècle).

Le corsaire agit avec une autorisation délivrée par les autorités de son pays. Cette autorisation, (appelée "lettre de marque", "lettre de commission" ou "lettre de course") est un document officiel d'habilitation par lequel un pays le reconnaît comme force militaire auxiliaire. Le corsaire s'engage de n'attaquer exclusivement que les navires battant pavillons ennemis, et particulièrement le trafic marchand, laissant éventuellement à la flotte de guerre le soin de s'attaquer aux objectifs militaires. Cette forme de guerre navale est appelée guerre de course.
Les corsaires agissent au service de leur pays, et ne doivent donc pas être confondus avec les pirates puisqu'ils exercent leur activité avec l'autorisation de leur gouvernement. La confusion entre les deux termes, résulte du fait que les corsaires faisaient la guerre aux nations ennemies en s'attaquant à leur commerce, et que jusqu'à la fin du Moyen Age, les termes de "corsaire" et "pirate", étaient employés indifféremment.
On ne doit pas oublier qu'ils respectaient les vies et les biens personnels ; seul le navire et le fret faisaient l'objet de la prise, les équipages quant à eux étaient libérés contre rançon.
S'il est capturé, le corsaire exhibe ses lettres de marques, ce qui lui assure le sort d'un prisonnier de guerre et lui évite la corde.

Pirates et forbans
Le pirate, tout comme le forban, agit pour son propre compte, c'est un hors-la-loi qui parcourt les mers et commet ses méfaits sans distinction de nationalité.

Flibustiers
Le flibustier (ou " frère de la côte ") est à l'origine un corsaire hollandais des Antilles qui va sus à l'Espagnol aux XVIIe et XVIIIe siècles. C'est un aventurier qui pouvaitt louer ses services en tant que corsaire en temps de guerre, naviguer comme marin de commerce ou bien s'adonner à la piraterie.

Boucaniers
Les boucaniers (dérivé du caraïbe "boucan") sont à l'origine des chasseurs qui traitaient la viande par un procédé de fumage appelé boucanage, appris des Indiens Arawak, qu'ils revendaient aux équipages de passage et faisaient du commerce avec les peaux.
Les boucaniers occupaient des terres sur l'île d'Hispaniola qui appartenait à l'Espagne (aujourd'hui Haïti et République Dominicaine). La raréfaction du gibier dans les îles ainsi que la tentative des Espagnols d'évincer les boucaniers, leur font rejoindre la flibuste.

Corsaires barbaresques contre navires français - 1615 (Aert Anthonisz)

— Corsaires barbaresques contre navires français - 1615 —

La guerre de course et le corso en Méditerranée du XVIe au XIXe siècle
irates et corsaires, s'ils ont quelques similitudes, sont deux types de prédateurs des mers en réalité bien distincts : le pirate est un acteur individuel "sans foi, ni loi", motivé par le seul appât du gain et dont les agissements sont unanimement condamnés, tandis que le corsaire est un acteur légal, reconnu et commissionné par les Etats, dont l'activité se nomme tantôt course, tantôt corso.

Chaque état étant souverain pour désigner ses corsaires, les corsaires barbaresques étaient assujettis au règlement tel que défini par la Régence, et non par les lois européennes. Les corsaires des régences d'Alger, Tunis et Tripoli ne peuvent donc être assimilés à des pirates. Ils étaient bien des corsaires, comme de nombreux faits et documents en témoignent.

Un corsaire autorisé par un Etat était qualifié de pirate par les Etats ennemis ; ce n'est donc qu'une question de point de vue. Et si la guerre de course fera la prospérité d'Alger, elle fera également celle des villes européennes comme les villes françaises de Saint-Malo, La Rochelle, Dunkerque, Morlaix, Calais, Boulogne, Granville ; ou bien encore les villes italiennes de Livourne, Naples, Palerme...

Longtemps, la course barbaresque a été l'objet de tous les fantasmes véhiculés à travers une vision caricaturale reposant sur l'idée d'un affrontement entre la Croix et le Croissant. Grâce à un certain nombre de travaux de qualité menés par des chercheurs aussi bien maghrébins, qu'européens ou américains depuis une trentaine d'années, nous avons aujourd'hui une vue plus sereine de ce passé.

Dans la suite de ce chapitre, Xavier Labat Saint-Vincent (Ingénieur d'études à l'université Paris IV-Sorbonne) précise quels furent les enjeux de ces entreprises qui, au-delà de l'aventure maritime, mêlaient prétextes religieux, police des mers, guerre économique et brigandages de toutes sortes.

Corsaires barbaresques

— Corsaires barbaresques - Bataille navale —

Un brigandage maritime réciproque sous couvert de religion
n Méditerranée, entre les XVIe et XIXe siècles, cette activité légale des corsaires se distingue selon leur proie. D'un côté, l'on parle de "course" lorsque le corsaire tente de s'emparer des bâtiments de commerce d'une puissance en guerre contre son souverain : il s'agit donc d'une activité ponctuelle liée aux périodes de conflits, et le corsaire est considéré comme un auxiliaire de la marine de guerre de son pays. De l'autre, l'on appelle "corso" l'activité visant les bâtiments de commerce de l'Infidèle. Ainsi, le corso, s'il s'apparente à la course en ce qu'il vise également les bâtiments de commerce, s'en différencie quant au fond : il s'agit d'une lutte permanente à connotation religieuse, entre chrétiens et musulmans, ou plus exactement entre chrétiens et Barbaresques.

La course et le corso, en tant qu'activités légales, étaient reconnus et encouragés par les Etats dont les souverains délivraient à leurs corsaires des autorisations – appelées lettres de marque – de courir sus les navires de commerce ennemis. A l'origine, la course représentait une réaction à l'injustice subie par les victimes de la piraterie. Afin de limiter la violence sur mer, les souverains ont souhaité contrôler cette activité prédatrice : la première lettre de marque fut délivrée par Philippe Auguste en mai 1206, pour courir dans la Manche. La course remonte donc au XIIIe siècle, mais c'est surtout entre le XVIe et le début du XIXe siècle qu'elle fut, en Méditerranée, la plus intense. La lutte entre la Croix et le Croissant, c'est-à-dire entre chrétiens et musulmans, apparue dès le VIIIe siècle en Méditerranée, lui fournit sa plus efficace couverture idéologique : sous le prétexte d'une lutte perpétuelle pour la "vraie foi", le corso permit aux marins des deux rives de cette mer de se livrer à des rapines continuelles sur les marines de commerce ennemies.

Dans l'Occident chrétien, le corsaire barbaresque représenta longtemps l'archétype même du "pirate" méditerranéen ; cependant, sur l'autre rive de la Méditerranée, le "pirate" chrétien était également redouté et chargé d'une légende analogue tout aussi noire dans l'imaginaire musulman. La lutte fut donc équitable et équilibrée entre les divers protagonistes, et non, comme le véhicule trop souvent une historiographie européo-centriste orientée, noble et chevaleresque chez les chrétiens en lutte contre les affreux pirates barbaresques. Si ces derniers et particulièrement ceux d'Alger, se montrèrent souvent indisciplinés vis-à-vis de leurs autorités tutélaires, il n'en étaient pas moins des corsaires combattant au nom d'une foi, leur course s'apparentant à une forme militaire de la guerre sacrée et intégrant de ce fait une dimension légitime et religieuse. Les marines des Régences, créées à l'origine pour lutter contre la "Reconquista" chrétienne, continuèrent la lutte sous cette forme aux siècles suivants. C'est de cette longue période de trois siècles de luttes maritimes que s'est forgée, dans l'Occident chrétien, la vision encore trop souvent perpétuée aujourd'hui, d'une noble lutte chrétienne vouée à l'endiguement du fléau de la piraterie barbaresque. En réalité, le corso méditerranéen ne fut rien d'autre qu'un brigandage maritime réciproque et perpétuel entre chrétiens et musulmans, une quasi piraterie permanente à prétexte religieux qui fut, durant cette période, une activité largement institutionnalisée.

Corsaires barbaresques contre navires espagnols -1615 (Cornelis Vroom)

— Corsaires barbaresques contre navires espagnols - 1615 —

Régences barbaresques, Ordres chevaleresques
es trois siècles du corso méditerranéen correspondent aux siècles de la conquête et de la présence turque en Afrique du Nord. Avec la chute de Grenade en 1492 et la volonté de l'Espagne de poursuivre la Reconquista sur les côtes de l'Afrique du Nord afin d'en chasser les "Infidèles", la menace était réelle pour les musulmans : aussi, les potentats locaux firent-ils appel au sultan de Constantinople pour qu'il les protégeât. Au début du XVIe siècle, les frères Barberousse créèrent des royaumes, soumis à l'autorité de Constantinople et appelés par les chrétiens "Régences barbaresques". Les Régences d'Alger, Tunis et Tripoli devinrent dès lors les foyers d'une intense activité corsaire, à laquelle l'Occident chrétien fit face en confiant la police de la mer à deux ordres militaires et religieux : l'Ordre de Saint-Etienne, créé par le Grand Duc de Toscane en 1561 spécialement dans ce but, et surtout l'Ordre de Malte.

Créé à l'époque de la première croisade, cet ordre religieux, appelé à l'origine "Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem", avait été chassé de Rhodes par les Turcs, en 1522, et avait trouvé refuge sur une petite île située au centre des deux bassins de la Méditerranée, que Charles Quint lui céda en 1530 : Malte. Cette installation marque la naissance de ce qui semble être une anachronique perpétuation de la croisade entre un ordre religieux et ces nouveaux micro-Etats, dépendants de la Porte ottomane, qu'étaient les Régences barbaresques.

Galère algérienne - 1655 - (Pierre Puget)

— Galère algérienne - 1655 —

L'ordre de Malte, de la contre-course défensive aux opérations prédatrices
insi, le corso chrétien fut-il tout aussi actif que le corso barbaresque et à partir du XVIIe siècle, tout aussi institutionnalisé. En effet, la course représenta pour les Régences barbaresques une ressource d'appoint, voire l'unique façon de subsister économiquement et fut, à ce titre, soit tolérée soit encouragée et soutenue par leurs souverains successifs, en dépit des divers traités de paix et d'amitié régulièrement renouvelés. Il en alla de même pour l'Ordre de Malte, puissant propriétaire foncier des puissances chrétiennes de l'Europe qui, s'il voulait survivre politiquement, devait prouver à la chrétienté qu'il pouvait lui être encore utile, alors même que l'époque des croisades était depuis longtemps révolue. C'est ce qu'il fit en remplissant la mission de police des mers et de lutte permanente contre le fléau que représentaient, pour les marines de commerce chrétiennes, ces corsaires barbaresques.

Mais, s'il fut à l'origine une contre-course défensive qui répondait à la formidable explosion de l'activité corsaire des ports barbaresques, le corso maltais acquit, à partir de la défaite navale turque à Lépante (1571), sa véritable dimension prédatrice. Son activité glissa vers le bassin oriental de la Méditerranée et visa de plus en plus souvent des cibles civiles : il ne s'agissait plus dès lors d'une contre-course défensive, mais ni plus ni moins d'un pillage organisé et systématique destiné à ruiner les marines de commerce musulmanes, pour le plus grand profit des marines chrétiennes et surtout française. Au cours des années 1670, la France de Louis XIV renouvela les Capitulations – accords de paix et de commerce – avec l'Empire ottoman, afin de pacifier la mer et d'améliorer la sécurité des échanges commerciaux. L'intense activité corsaire menée depuis Malte et dans laquelle de nombreux chevaliers français étaient impliqués, allait a contrario de cette politique. Pour y obvier, le roi de France intima au Grand Maître l'ordre de rappeler ses corsaires, si bien que le corso chrétien s'effondra.

Il renaquit au début du XVIIIe siècle sous un autre vocable : l'idée même de croisade contre l'ennemi du nom chrétien étant devenue par trop anachronique en ce début du siècle des Lumières, l'Ordre se devait de considérer un autre ennemi : ce n'était plus l'Islam qui était visé, mais le mauvais musulman, le pirate barbaresque. Cependant, ce renouveau du corso chrétien n'atteignit jamais plus son niveau du siècle précédent et perdura à un niveau médiocre jusqu'à l'éviction de l'Ordre de Malte par Bonaparte en 1798.

La guerre de course
l'inverse du corso chrétien, quasi moribond au XVIIIe siècle, la guerre de course représenta pour les souverains une arme de plus en plus appréciée au cours de ce siècle où la maîtrise des mers devint un enjeu vital pour les économies. Les Etats ne pouvaient seuls se charger, par l'intermédiaire de leurs flottes militaires, de cette activité : ils associèrent donc, aux coûts et profits de cette guerre maritime, des armateurs privés à qui était délégué le pouvoir régalien de faire la guerre. Mais, pour ces derniers, elle ne remplaçait que médiocrement leur activité traditionnelle de négoce, étant une reconversion forcée, faute de ne pouvoir exercer librement leur vrai métier. Cette activité était donc exceptionnelle, puisqu'elle n'existait qu'en période de guerre. L'île de Malte continua de jouer un rôle essentiel au cours de ce siècle. De par ses statuts, il était interdit à l'ordre de Malte de se battre aux côtés d'une puissance chrétienne en guerre contre une autre. Il ne pouvait donc armer en course contre des bâtiments chrétiens. Cependant, sa communauté d'intérêts avec le royaume de France l'obligea à mener une politique bienveillante à l'égard de ce pays, si bien que les bateaux corsaires et de commerce français, plus que tous les autres, y trouvèrent, au cours des conflits qui ponctuèrent le siècle, les infrastructures nécessaires à leurs activités.

Navire corsaire algérien - 1632 (Andries van Eertvelt)

— Navire corsaire algérien quittant un port d'Algérie - 1632 —

Des traités de paix fragiles mais coûteux avec les Régences barbaresques
arallèlement au corso chrétien, le corso barbaresque connut également une évolution sensible. Plus proche de la piraterie que de la course au XVIe siècle, à l'époque où les jeunes Régences barbaresques n'avaient pas encore réellement assis leurs positions internes et internationales, il devint une activité plus policée aux siècles suivants, grâce à la signature de multiples traités de paix avec les puissances chrétiennes, traités qui mettaient les divers protagonistes sur un même pied d'égalité : ils étaient avantageux pour les Européens qui évitaient ainsi les frais d'une guerre massive contre ces nids de corsaires, tout comme ils l'étaient pour les Régences qui, en passant d'une alliance à l'autre, c'est-à-dire en n'étant jamais en paix avec tous les pays d'Europe à la fois, conservaient perpétuellement un cheptel de proies quasi inépuisable. En outre, pour ces pays, les traités étaient toujours assortis de conditions financières compensatoires et de présents tels qu'il leur était intéressant de les renouveler régulièrement. Mais pour qu'il y eût renouvellement, il fallait au préalable rompre la paix en relançant le corso, ce que les Régences firent à maintes reprises, sous divers prétextes. Les multiples bombardements qu'Alger, Tunis et Tripoli eurent à subir ne freinèrent que momentanément les ardeurs des Barbaresques, si bien que malgré une nette supériorité maritime des chrétiens, avérée dès le XVIe siècle, ces derniers se résolurent, jusqu'au début du XIXe siècle, à payer pour maintenir un semblant de paix avec ces vassales peu disciplinées de l'Empire ottoman.

Corsaires barbaresques - Bataille navale - 1678  (W. Van de Velde)

— Corsaires barbaresques - Bataille navale - 1678 —

Libéralisme et humanisme, nouvelle donne ou nouveaux prétextes ?
ependant, les Européens supportèrent de plus en plus mal cette activité : avec la Révolution française et son idéal de libéralisme économique, la guerre de course apparaissait désormais comme un anachronisme économique cruel eu égard à la notion nouvelle de droits de l'homme, qui faisait ressortir l'aspect monstrueux de l'esclavage. En 1818, au congrès d'Aix-la-Chapelle, la résolution fut prise de persuader les Régences barbaresques de mettre un terme à l'activité de leurs corsaires, en les menaçant d'une action concertée des puissances européennes. Il fallut encore attendre douze années et l'expédition française sur Alger de juillet 1830 pour mettre un terme à ce fléau. Sous couvert de croisades de la foi, le corso chrétien et le corso musulman ne furent en réalité rien d'autre qu'un brigandage maritime continu des années 1570 à 1830. Le libéralisme économique du XIXe siècle mettait ainsi un terme, cette fois sous couvert d'humanisme, à une activité pluriséculaire qui entravait sa progression.

Corsaires barbaresques (Théodore Gudin)

— Corsaires barbaresques à l'abordage d'un navire français —

Tentative de reconversion - De la course au commerce
ans son ouvrage, "Les corsaires barbaresques. La fin d'une épopée 1800-1820" (Paris, CNRS, 1999, coll. Méditerranée, 311 p.), Daniel Panzac nous rappelle que la course avait connu une dernière et très brutale flambée à partir de 1793. Croisant les sources maghrébines, maltaises, françaises, espagnoles, italiennes et anglaises, il analyse l'histoire des régences barbaresques couvrant près d'un quart de siècle, de 1793 à 1816.
Cette période a été marquée par de profondes mutations et des évolutions rapides, dont beaucoup se sont révélées par la suite irréversibles.

Les régences barbaresques allaient, à partir de 1802, se lancer dans l'affrètement, le transport maritime et le commerce international. L'émergence d'une flotte commerciale maghrébine est un phénomène qui est resté, jusqu'à présent, largement ignoré et occulté. Fait sans précédent dans l'histoire moderne de l'Afrique du Nord, il s'agissait d'une véritable révolution économique. En effet, depuis le XVIe siècle, voire la période antérieure, les Maghrébins avaient développé leurs activités maritimes à peu près exclusivement dans le domaine de la course. Ils laissaient ainsi aux Européens, et en particulier aux Français, à peu près l'exclusivité du transport. Il s'agissait sans doute d'un choix, mais aussi d'une nécessité en raison des multiples obstacles que rencontraient les rares Musulmans qui s'aventuraient dans les ports de la rive nord de la Méditerranée. Puis brusquement, au début du XIXe siècle, les Maghrébins firent preuve d'une réelle capacité d'adaptation aux conditions particulières engendrées par le blocus continental et les désordres de la guerre en Europe. Ils abandonnèrent presque entièrement la course pour tenter de prendre leur place dans la vaste réorganisation économique alors en cours en Méditerranée. Ils se lancèrent donc dans le commerce international et le transport maritime.
Les résultats furent rapidement spectaculaires. A partir de 1806, les Maghrébins assuraient plus de la moitié du trafic entre l'Europe et les ports des régences barbaresques. On assista même à une véritable inversion des rôles dans la Méditerranée occidentale avec l'instauration d'une caravane maritime maghrébine reliant entre eux les ports européens, notamment Marseille, avec les ports espagnols.

Mais l'aventure de la flotte maghrébine avorta rapidement, alors que les entreprises des armateurs grecs se développèrent au même moment en profitant des mêmes circonstances. L'échec était évident dès 1812. Dans les ports européens, on n'avait pas vu d'un bon œil l'arrivée de nouveaux concurrents, envers lesquels persistait en outre une vieille et profonde animosité. Tracasseries administratives et taxations abusives eurent donc tôt fait de décourager transporteurs et négociants maghrébins et de les réorienter vers les activités plus traditionnelles de la course. La très forte reprise de celle-ci en 1815 allait entraîner une riposte des Européens par l'expédition anglo-hollandaise contre Alger durant l'été 1816. Dès la fin de l'année, Alger paraissait en mesure de reconstituer rapidement sa flotte. Mais en fait, l'Afrique du Nord venait de vivre un véritable tournant. Les événements de 1816 révélaient aussi les fragilités nouvelles d'un Maghreb, confronté depuis la fin du XVIIIe siècle à des crises la fois politiques, économiques et démographiques.

Lord Exmouth, dans son expédition, bénéficia cette fois du soutien de l'Europe toute entière, qui venait de se réunir à Vienne. Pendant longtemps, on s'était accommodé des attaques des corsaires barbaresques, d'ailleurs jamais dirigées contre l'ensemble des puissances chrétiennes, mais de manière très ciblée contre quelques-unes au gré des guerres et des traités. En même temps, on trouvait un intérêt à l'autonomie croissante des Etats barbaresques vis-à-vis de La Porte.

Donc, pour résumer, on assista au Maghreb à une spectaculaire reprise de la course en 1793 puis, entre 1802 et 1810, au développement tout à fait inattendu d'une flotte commerciale locale qui alla de pair avec une quasi-disparition des activités corsaires. Mais l'échec des transporteurs et armateurs maghrébins dans les ports européens, patent à partir de 1811-12, provoqua une nouvelle flambée de la course, qui sera stoppée par l'expédition maritime anglo-hollandaise de lord Exmouth contre Alger en 1816.

Alger - bombardement par Exmouth -1816 (George Chambers)

— Bombardement d'Alger par une coalition anglo-hollandaise en 1816 —