Je n’étais âgé que de 3 trois ans et demi, le 20 août 1955. J’ai pourtant quelques souvenirs que je relaterai sur le site dans la page « Récits ». Ces bribes de souvenirs que j’ai communiquées à M. Mathiot dans un échange par mail avant la mise en place de ce forum, n’apporteraient rien dans le présent échange.
Cependant, concernant le but visé par Zighout Youcef et l’ALN (qui était le bras armé du FLN), il est connu aujourd’hui que les civils européens n’étaient pas la cible de ce soulèvement. Cela est avéré par de nombreux témoignages d’Européens qui disent bien que les insurgés n’avaient même pas cherché à pénétrer dans leurs maisons. Dans leur majorité, les assaillants avaient attaqué les cibles qui étaient celles définies par le FLN.
Quelles étaient ces cibles ?
Tout d’abord, des cibles représentant l’autorité coloniale :
- sites militaires, casernes, gendarmeries, administration…, ainsi que les moyens de communications (routes, ponts, téléphone…).
Les objectifs essentiels de ces attaques dans le Constantinois étaient stratégiques, et parfois symboliques :
- disperser les forces françaises sur tout le territoire algérien, et desserrer l’étau de l’armée contre l’ALN dans les Aurès et la Kabylie, entre autres.
- affaiblir les partis susceptibles de suivre la ligne Soustelle.
- démontrer que l’ALN avait l’initiative sur le terrain et le soutien de la population.
- relancer la lutte pour l'indépendance.
- inscription de la question algérienne à l'ONU.
- solidarité avec les Marocains dont le sultan avait été déposé le 20 août 1953.
Supposer que Zighout Youcef aurait escompté sur la répression et les massacres par l’armée française pour obtenir le soutien des Algériens est discutable. Car le résultat, trop hasardeux, aurait pu produire l’effet inverse, à savoir que la population algérienne, suite à ces répressions et pour se protéger, se serait au contraire désolidarisée du FLN.
Surtout que l’on sait qu’en août 1956, au congrès des dirigeants dans la vallée de la Soummam, le déroulement de l’action fut critiqué.
D’ailleurs, en septembre 1956, Zighout Youcef était tué par un commando du 4e RIC, qui récupérera ses archives de campagne. Comme le fait remarquer l’historienne Claire Mauss-Copeaux, si le moindre document pouvait accuser le chef du Constantinois cela aurait été immédiatement exploité. Le silence observé par l’armée conduit à supposer qu’aucune archive n’accusait Zighout Youcef.
Ces faits, à eux seuls, devraient finir de nous convaincre que les attaques contre les civils n’avaient pas été programmées. Car le FLN n’avait aucun intérêt à déclencher des répressions contre une population qui dans son ensemble aspirait à l’indépendance et le soutenait, ne serait-ce que sur le plan idéologique.
Alors comment expliquer les massacres d’Européens à El Alia (35 tués) et Aïn Abid (7 tués) ? En tout 71 civils européens tués dans tout le Constantinois, auxquels il faut ajouter 31 militaires et 21 Algériens pour un total de 123 victimes.
La dynamique la plus probable des événements est donc à chercher ailleurs. Dans un contexte traversé par des fortes tensions subjacentes, l’action insurrectionnelle menée par les combattants de l’ALN bute sur un accident de parcours aléatoire (un coup de fusil tiré depuis la maison d’un maçon européen ?) : il suffit d’une étincelle pour que l’insurrection devienne émeute qui vire à son tour au massacre.
Pour résumer, on peut penser qu’il y a eu des débordements, et comment imaginer qu’il n’y en eut pas dans une action d’une telle ampleur ? Et pour reprendre une formule fréquemment employée aujourd’hui quand des civils sont tués, on peut qualifier ces massacres de dommages collatéraux n’ayant aucun lien direct avec l’intention première de porter un coup aux forces coloniales.
Je vous propose de retrouver plusieurs articles à ce sujet, dont la présentation par Andrea Brazzoduro du livre de Claire Mauss-Copeaux : « Le 20 août 1955 en Algérie, insurrection, répression, massacres », en suivant le lien ci-après :
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article4576